Critique de la vie quotidienne

Tome 2 de Henri Lefebvre

Lorsque Henri Lefebvre publia ce livre en 1961 il apporta un incontestable renouvellement à l’analyse sociologique, loin de la froideur du monde désincarné des statistiques.
Dès le début il proclame son ambition d’à la fois saisir la vie quotidienne dans sa diversité, sa complexité, et dans le même temps de tenter de maintenir une cohérence de son analyse critique.
C’est-à-dire qu’il intègre pleinement les contradictions apparentes de la vie des gens pour à partir de ces contradictions faire émerger une compréhension globale.
« Toute vie humaine est marche ou démarche vers un possible, ouverture ou fermeture des possibles, supputation et option tenant compte des aléas et de l’intervention des « autres ». »
Lefebvre ne se complaît alors dans aucun constat désabusé mais propose de nombreuses pistes pour revivifier une vie quotidienne écrasée par le poids du fétichisme de la marchandise et de l’argent.
« Les rêves, avec leur discontinuités, leurs surprenants « suspenses » et leurs absurdités apparentes résument le passage du besoin au désir. Ils refont le chemin de la certitude du besoin à l’incertitude du désir ».
Bien que souvent cité en référence, Lefebvre a eu fort peu de continuateurs dans le monde de la sociologie parasité par les « experts » aux ordres du système.
« Les spécialistes ont tous les droits, sauf celui d’imposer silence à la pensée critique au nom d’une conception du réel qu’ils explicitent rarement et qui ne s’impose en rien. »

Pour tous ceux qui gardent le projet et l’espoir d’une véritable transformation de notre société, la lecture attentive de ce livre sera du plus grand profit et certainement se surprendront-ils, par exemple, qu’alors Lefebvre ait pu concevoir « une société où chacun – retrouvant la spontanéité de la vie naturelle et l’élan créateur initial – percevrait le monde en artiste, jouirait du sensible avec un œil de peintre, avec une oreille de musicien, avec un langage de poète. L’art, dépassé, se résorberait ainsi dans une quotidienneté métamorphosée par sa fusion avec ce qui restait hors d’elle. »
La comparaison avec les perspectives d’avenir que nous « offrent » désormais nos braves politiciens et analystes contemporains ne peut, en effet, que donner le vertige.
On notera qu’à la grande différence de tous ces brillants « spécialistes » qui campent désormais à temps complet sur les médias, un grand nombre des thèses critiques de Lefebvre se vérifient quotidiennement.

Remarquons aussi qu’en cette critique précoce de la modernité, Lefebvre s’appuya , entra autres, sur une formulation très éclairante du jeune Marx : « L’abstraction de l’État comme tel n’appartient qu’aux temps moderne parce que l’abstraction de la vie privée n’appartient qu’aux temps modernes. »

Citons encore Lefebvre au cœur de sa méthode réflexive et au sujet d’un facteur essentiel de la relation humaine aujourd’hui en très mal en point, à savoir le dialogue vivant :

« Pourquoi parler, pourquoi employer dans l’acte de la parole les formes de la communication et du langage, sinon pour sortir d’un malaise, c’est-à-dire des intentions cachées ou avérées, défis et défiances, de sorte que l’acte de comprendre émerge d’une incompréhension, d’ailleurs jamais complètement exterminée ? Le dialogue vivant éclaircit un malentendu, sans lequel il n’y aurait d’ailleurs rien à dire, et qui fournit la « matière » (à la fois « matériau, émotions cachées, opinions mal révélées, symboles – et « matériel », mode d’emploi des mots, intentions, opérateurs intellectuels, démarches visibles, comportements manifestés) sur laquelle travaillent les sujets en situation de dialogue ? Où gît et se cache la racine du malentendu qui rend le dialogue à la fois indispensable et difficile, possible et souvent voué à l’échec ? Dans le langage d’abord, dans les mots employés et la façon de les employer, dans les symboles utilisés et les intentions utilisatrices. Et aussi dans les systèmes de référence, généralement peu explicités. »


Critique de la vie quotidienne, tome 2 : Fondements d’une sociologie de la quotidienneté

La Critique de la vie quotidienne a été rééditée en version intégrale en 2024, avec une préface de Kristin Ross : cliquer ici.

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