de Mogens H. Hansen
Durant les presque deux siècles que dura la démocratie athénienne, aucun citoyen de la cité d’Athènes n’aurait été assez innocent pour vivre sous la coupe d’une oligarchie et de ses intérêts particuliers tout en se persuadant qu’il était le libre citoyen d’un régime démocratique.
Personne n’ignorait en effet que l’émergence de tout pouvoir oligarchique condamnait par nature l’existence de toute démocratie réelle.
L’engagement personnel de chacun dans la vie politique des assemblées populaires garantissait pour le moins ce genre de lucidité.
Si diverses formes oligarchiques, durant cette période, tentèrent de s’emparer du pouvoir, elles durent le faire en leur nom et sans pouvoir prétendre d’aucune manière représenter la démocratie.
La seule démocratie reconnue était en effet la démocratie directe qui bannissait (littéralement) toute forme de représentation et de pouvoir séparé du peuple des citoyens.
De quelle manière fonctionnait cette société dont le rayonnement dans l’histoire de l’humanité reste si essentiel, voilà ce que ce livre, aboutissement de vingt-cinq années de recherche, s’applique à mettre en lumière.
Quand à l’usage qu’il serait possible de faire de ce savoir en notre époque, voilà qui reste de notre entière responsabilité.
Beaucoup aimeraient faire abstraction, considérer comme accessoire ou subsidiaire, l’application stricte qui fut faite à Athènes de la démocratie directe ; séparer cette particularité politique se posant dans la durée, de l’extraordinaire grandeur de cette époque, de la prodigieuse floraison de la pensée, de l’art sous toutes ses formes qui la caractérise, et à tous les niveaux de la société.
Comment nier pourtant que dans une société où la citoyenneté est effective et quotidienne, où chacun a voix et pouvoir décisionnel sur l’organisation et le devenir de la cité au même titre que tout autre citoyen, où toutes confiscations et détournements de pouvoir au profit d’un groupe ou d’individus particuliers sont rendus impossibles, comment nier donc qu’une telle société se montrera incomparablement plus créative et vivante ; à tout moment, partout et pour tous.
Les partis, quels qu’ils soient, le nieront – les groupes d’intérêts et lobbys diverses le nieront – de même les communautarismes de tous poils, les politiciens « professionnels » – aussi la logique marchande et la domination implacable du « marché » qui ne domine que par la séparation du tous contres tous, par la servitude, et qui ne peut que haïr toute véritable démocratie.
Voilà donc bien les ennemis de la démocratie directe, ceux qui ne peuvent que vouloir la rejeter aux oubliettes ; ceux qui derrière leurs discours « démocratiques » méprisent profondément le peuple et font tout pour le rendre effectivement méprisable en le maintenant dans la servitude.
Extraits :
« Cette forme de gouvernement, introduite par Clisthène en -508 av. J.C., fut abolie par les Macédoniens quand ils conquirent Athènes en -322.
(…) Quoi qu’il en soit, Athènes était une démocratie « directe », la mieux connue à ce jour dans l’histoire; et c’est cette démocratie directe qui va être décrite et discutée dans les pages qui suivent. »
« Chacun ou presque, écrivant sur la démocratie, commence par distinguer des « démocraties « directes » et « indirectes » ou « représentatives ». Ceux qui se concentrent sur les institutions opposent parfois la « démocratie d’assemblée » à la « démocratie parlementaire »; mais la distinction est la même : dans une démocratie directe, le peuple se gouverne effectivement lui-même, c’est-à-dire que chacun a le droit de participer à la prise de décision, tandis que dans l’autre, indirecte, au contraire, la seule décision que chacun a le droit de prendre, c’est de choisir ses décideurs. »
«Dans les États modernes, y compris les démocraties, on a tendance à identifier l’État avec le pouvoir exécutif et le gouvernement plutôt qu’avec le peuple; mais dans une polis démocratique, à Athènes en particulier, les organes du gouvernement coïncidait largement avec le corps des citoyens, ne serait-ce qu’à travers l’institution de l’Assemblée du Peuple, et l’idéologie dominante voulait que la polis, ce fût le peuple (dèmos) : c’est manifeste, par exemple, dans tous les traités qui nous sont parvenus, où l’État d’Athènes est appelé ho dèmos ho Athènaiôn, « le peuple des Athéniens ».»
« Les Athéniens savaient pertinemment qu’un habile démagogue pouvait gagner les citoyens à ses propositions et leur faire perdre de vue leur véritable intérêt. (…)
Les démagogues étaient exposés à toutes les poursuites publiques que nous avons vues : ne pas respecter une promesse faite au peuple était un crime pour lequel on pouvait être attaqué par le biais d’une eisangélie ou d’une probolè. »
La Démocratie athénienne à l’époque de Démosthène
Structure, principes et idéologie.
LES BELLES LETTRES