Basculer du côté de Jérôme Baschet ?

À la lumière de Murray Bookchin

Floréal Romero

Dans EcoRev’ 2022/1 (N° 52)2022/1 (N° 52), pages 31 à 47
Éditions Association EcoRev’
ISSN 1628-6391
DOI 10.3917/ecorev.052.0031


[Lire en castillan]


  1. À la lumière de Murray Bookchin
    1. Le monde que l’on partage
    2. Contre l’effondrement, les basculements
    3. Revisiter les stratégies pour basculer du bon côté
      1. L’histoire comme premier enjeu stratégique
    4. Du naturalisme dialectique et de l’universalisme
    5. L’histoire qui nous habite
    6. Utopies concrètes et déterminations stratégiques
    7. Stratégie et chaînon manquant
    8. Une stratégie concrète pour ici et maintenant
      1. De la nécessité de s’organiser
      2. La colonisation du présent par le futur passe par l’histoire
      3. Agir ici et maintenant

Le récent livre de Jérôme Baschet sur les mondes émergents et les possibles désirables avive la discussion autour des stratégies à mettre en œuvre pour relier entre elles les expériences multiples et diverses déjà en cours. Floréal Romero saisit l’occasion pour insister sur la nécessité de mettre la main à l’organisation ici et maintenant en s’appuyant sur les propositions communalistes de Murray Bookchin, dont il est un spécialiste.

Il n’est jamais aisé de se faire le critique d’une pensée proche de la nôtre sans basculer dans l’éloge. C’est le cas avec celle de Jérôme Baschet exprimée dans son livre Basculements1. Néanmoins, il est bon de prendre du recul pour voir en quoi et dans quelle mesure nous pouvons discerner les désaccords, aussi anodins puissent-ils sembler au départ. Car tout en reconnaissant le large éventail de nos convictions mutuelles, ces différences seront en mesure d’élargir et d’enrichir le débat, alors que ce manque de dialogue caractérise trop bien notre époque.
Ainsi, des centaines de pensées proches circulent et se croisent sans jamais se rencontrer et s’alimenter mutuellement. Il en va différemment avec Jérôme Baschet, avec qui ce numéro d’ÉcoRev’ nous fait entrer en dialogue.

Le monde que l’on partage

Son analyse de la société capitaliste et le diagnostic de son évolution suicidaire font écho aux écrits de Murray Bookchin, loin des anticapitalismes superficiels ou tronqués qui sont monnaie courante chez les penseurs de gauche. En affirmant que « le pouvoir de l’État organise la capture de la puissance de la multitude »2, la critique de l’État par Baschet est également similaire à celle des zapatistes ou de Bookchin. Selon Janet Biehl, ce dernier « rejetait complètement le principe étatique – pour plusieurs raisons. D’abord, parce que l’État exerce le monopole de la violence, parce qu’il régule et contrôle la société par les corps législatifs et exécutifs qui deviennent des professionnels du contrôle, à travers les forces de sécurité et la bureaucratie. Et, surtout, parce que l’État traite les citoyens comme des enfants incapables de se gouverner eux-mêmes » 3.

Le souhait fondamental de Bookchin repose sur la fin de la professionnalisation d’un pouvoir politique décrédibilisé, au service du capital et déconnecté des citoyens.
D’où son rejet des partis, considérés comme de simples machines à conquérir le pouvoir. En démocratie, le pouvoir ne se délègue pas, sauf dans un périmètre très précis, sous condition de révocabilité, avec un mandat impératif.
La vie-bonne, soutenue matériellement par des “biens” qui sont des messagers du “bien”, est une fin en soi : le fondement d’une nouvelle personnalité et d’une nouvelle façon de vivre ; un apprentissage continuel de l’association, de la vertu et de la décence ; une force de résistance à la corruption sociale, morale et psychologique exercée par le marché et son égoïsme débridé 4.

Cet imaginaire, que l’on retrouve bien dans les pratiques et les visées zapatistes, est indispensable pour nourrir les espoirs et donner du sens à nos propos émancipateurs. Pointer cet objectif va nous donner l’énergie, d’abord pour nous reconnaître et ensuite, nous organiser, tisser les liens dans la synergie entre nos combats et nos alternatives, dans la diversité mais aussi dans une recherche conjuguée d’une sortie du capitalisme.
Mais pour l’heure, le drapeau de l’émancipation est en berne et « 1984 », via le totalitarisme numérique de la Chine 5, étale son ombre sur le monde entier. Les perspectives d’un monde nouveau, où régnerait l’harmonie entre les humains et entre ceux-ci et leur milieu naturel, se sont drastiquement rétrécies. Les théories en vogue de l’effondrement ne sont que le reflet de ce marasme.

Contre l’effondrement, les basculements

Face à ce désespoir ambiant, Jérôme Baschet relève le défi. Il s’appuie pour cela sur la notion même d’« effondrement », soutenue par les soi-disant « collapsologues », mais pour la dépasser.
Face à cette narration univoque et fataliste, il multiplie les scénarios et développe une panoplie de facteurs de crise dans les domaines variés de l’existence, inter agissant entre eux et engendrant la crise structurelle du capitalisme. Loin de minimiser cette crise, il oppose à la notion fermée de l’effondrement, celle de « basculements » multiples. Et c’est là que Baschet, tout en assumant un « trait en partie commun avec la thèse de l’effondrement », sollicite notre imagination et nous propose une « autre conception du devenir historique ». Ainsi, il repère, dans ce monde capitaliste triomphant « où les déterminations économiques se font de plus en plus oppressantes et envahissantes […] des failles de plus en plus prononcées qui l’affaiblissent de manière souterraine » 6. Et de
conclure que « l’ouverture des possibles s’accentue » 7.
Mais à mon avis, il s’agit là d’un acte de foi plus que d’une démonstration car comment établir une relation de cause à effet entre ces failles aussi grandes soient-elles et l’accentuation de l’ouverture des possibles ?

Il se peut que ces crises à répétition soient à même de favoriser des réactions antisystèmes et de nourrir l’espérance en des « mondes émergents » et des « possibles désirables ». Mais pour l’heure, lorsque la maison flambe, ce sont les pyromanes qui envoient leurs pompiers. Or, il faut bien constater notre incapacité à faire face à l’effondrement qui s’annonce en impulsant un autre type de basculement de nature émancipatrice.
L’ambiguïté même du terme basculement comme source crédible d’espoir vient de ce qu’il fait fi de tout ce qui le précède et en premier lieu de la construction préalable d’un mouvement organisé. Contrairement au basculement, cette dernière tâche requiert du temps dont ce dernier fait l’impasse parce que, logiquement, il se situe en fin de processus.

Comment investir ces failles et les faire travailler au basculement ? De quelles forces disposonsnous ? Non pas potentiellement mais effectivement ? Il nous faut bien admettre que le rapport de force est loin de nous être favorable par manque d’adhésion à nos propositions mais déjà par manque ne seraitce que d’un embryon d’organisation. Et c’est bien là que le bât blesse, et c’est ce manque que notre stratégie se doit en premier lieu de combler. Ce n’est que lorsque nous aurons su déclencher une dynamique d’adhésion affective à nos propositions, que nous pourrons espérer qu’elles deviennent effectives.
S’impose donc la nécessité d’un regard stratégique, souci commun numéro un et sur lequel il convient de focaliser et d’unir nos efforts. Stratégie, vocable certes associé à la guerre, mais il y a longtemps que le capital a déclaré la guerre à nous les humains mais aussi à la terre entière.

Revisiter les stratégies pour basculer du bon côté

L’histoire comme premier enjeu stratégique

Frappé par l’importance que les zapatistes accordaient à la réflexion sur l’histoire, définissant leur lutte « comme une rébellion pour l’histoire et contre l’oubli », Jérôme Bachet s’adonne à une critique pertinente et sans com plaisance du « présent perpétuel » néolibéral 8 et qui fait écho à l’analyse de Guy Debord dans La société du spectacle pour qui « le temps de la production, le temps marchandise, est une accumulation infinie d’intervalles équivalents » 9. Ainsi, nous sommes pris dans un arrêt de l’histoire humaine, sa confiscation par la logique marchande et son idéologie réalisée. Mais Baschet semble entrer dans le jeu de cette dernière parce qu’il estime que nous n’avons plus l’histoire avec nous et que nous ne sommes plus les messagers d’un quelconque sens de l’histoire qui nous entraînerait inexorablement vers le salut. Nous prendre pour les hérauts du salut ne nous incombe pas plus que de considérer l’histoire commeune extériorité, une puissance tutélaire. C’est pourquoi nous continuerons à penser comme Marx : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé » 10. Le pari reste bien celui de remettre l’histoire en marche, la désincruster de l’économie politique.
Certes, nous trouvons chez Baschet des références historiques, à la Commune de Paris par exemple ou à d’autres évènements révolutionnaires et s’il revendique la nécessité de connaître le passé, curieusement, il ne visite que très peu le passé révolutionnaire et de fait sa perception de l’histoire reste à mon avis superficielle. De là, cette étrange référence aux stratégies d’Olin Wright qui, somme toute, restent circonscrites dans une approche assurément présentiste. Une vision vraiment historique aurait permis à Baschet de faire l’économie d’évoquer à nouveau la sempiternelle erreur de la collaboration avec les institutions de l’État. Au-delà de la stratégie en soi, l’appréhension de l’histoire telle que la conçoit Bookchin nous permet d’aller bien plus loin et, partant, d’aborder d’autres sujets importants que Baschet traite parfois, mais d’une manière qui nous semble trop rapide. Ainsi pour Bookchin :

L’histoire est aussi importante que la forme ou la structure. Dans une très large mesure, l’histoire d’un phénomène constitue le phénomène lui-même.
Nous sommes, réellement, tout ce qui a existé avant nous et nous pouvons devenir à notre tour infiniment plus que ce que nous sommes […] L’évolution nous habite (de même qu’elle habite le monde alentour) sous forme d’éléments constitutifs de notre nature même 11.

Nous reviendrons sur la relation de l’histoire vis-à-vis de la stratégie en tant que telle, mais auparavant révisons donc ces approches qui me semblent aussi faire partie de la stratégie en ce qu’elles vont participer à donner du sens à notre agir et renforcer nos convictions.

Du naturalisme dialectique et de l’universalisme

Humaniste, le naturalisme dialectique de Bookchin s’oppose à la conception misanthropique des humains comme êtres destructeurs. Ainsi, refusant de mythifier l’humanité autant que la nature, les êtres humains sont à ses yeux des êtres biologiques et sociaux.

Dans cette approche, l’histoire se révèle comme entrée en matière pour revoir le concept de naturalisme. Un naturalisme duquel Baschet nous invite à sortir, comme il le fait avec raison pour l’individualisme et l’universalisme totalisant de la modernité en opposant à ce dernier, « l’universalisme de la multiplicité ». Mais tout comme pour l’universalisme, l’auteur y gagnerait à relativiser et ne pas mettre toute approche naturaliste dans un même sac (« un ensemble de représentations qui dissocient l’humanité de la nature et la placent en surplomb de celle-ci » 12 ) sans prendre connaissance de celle de Murray Bookchin et sa riche complexité conceptuelle. En effet, le naturalisme dialectique forgé par ce dernier se situe bien au-delà des grossiers naturalismes dualistes. Le naturalisme dialectique est au cœur de l’écologie sociale, n’étant ni « biocentrique », ni «anthropocentrique » car elle « renforce les racines profondes de l’humanité et de la société dans son évolution naturelle » 13. Humaniste, le naturalisme dialectique de Bookchin s’oppose à la conception misanthropique des humains comme êtres fondamentalement destructeurs. Ainsi, refusant de mythifier l’humanité autant que la nature, les êtres humains sont à ses yeux des êtres biologiques et sociaux. Un naturalisme qui s’oppose également à toute approche surnaturelle (mystique) de la nature 14. Partant, il va forger le concept de première nature, celle biologique, et de seconde nature, soit la société en tant que résultat de l’évolution naturelle de la première. Une étude approfondie des sociétés « préalphabétisées » et précapitalistes, le confirmera dans sa conviction que les deux natures n’ont pas toujours été opposées, et qu’au contraire, il y a plutôt complémentarité. En fait, la fracture se produit avec l’apparition des dominations au sein des sociétés, à commencer par celle des hommes sur les femmes. Nous avons bien là matière à combler les vœux de Baschet pour « faire place à d’autres anthropologies émergentes » comme éléments constitutifs de notre stratégie puisqu’elles seront à même de préparer notre imaginaire pour un « monde nouveau contenant de nombreux mondes ». Et c’est l’ensemble du monde qui est concerné, ce qui résume bien ce que Murray Bookchin entendait par universalisme.

Du coup, ses recherches historiques et les propositions qui en découlent sont loin de s’inscrire, comme dit Baschet, « dans une généalogie très occidentale ». À ce niveau, Bookchin aurait pu lui réponde que son intérêt pour les institutions démocratiques n’était pas propre aux cultures où elles sont nées 15 et qu’il importe d’entrer en résonance avec la tradition d’émancipation de chaque pays. Et même audelà puisque, par exemple, la révolution au Rojava du confédéralisme démocratique, inspirée par le communalisme de Bookchin, est un pays où la démocratie d’assemblée n’est pas enracinée dans l’histoire et la géographie kurdes 16. Comme il le dit très bien dans la vidéo « Les formes de la liberté », il veut s’adresser aux gens avec des références qui leur parlent, qui font partie de leur histoire, mais en partant des problèmes de tous les jours. De plus, les États-Unis où il résidait, se devaient d’être privilégiés comme le lieu le plus favorable à son action, mais aussi, stratégiquement, comme la cible en tant que centre névralgique du capitalisme mondial.

L’histoire qui nous habite

« Connais l’adversaire et surtout connais toi toimême et tu seras invincible » (Sun Tzu L’art de la guerre, 6e siècle av. J.C.).

Mais pour que le pari prenne corps, il doit être pour nous plus ambitieux encore. Prendre la mesure de ce qui est, non seulement en face de nous mais aussi au plus profond de notre être, devient alors un des objectifs prioritaires et en tout cas concomitants à notre démarche émancipatrice. Gustav Landauer l’affirmait déjà : « Il n’y a de libération que pour ceux qui se mettent intérieurement et extérieurement en état de sortir du capitalisme, qui cessent de jouer un rôle et commencent à être des humains » 17. Issus des très anciennes logiques de domination, tout en accentuant leurs formes oligarchiques, le capitalisme et sa « modernité », avec leurs prêcheurs et leurs théologiens, pour se distinguer des anciennes religions, estimèrent qu’il était indispensable de donner à l’Économie politique toutes les apparences d’une science.
Mais à la différence de toutes les autres religions, le paradis capitaliste n’est pas situé dans un audelà, mais dans une immédiateté dont tout un chacun est appelé à se saisir, l’argent. Et c’est dans la pratique obligée de cette dépendance quotidienne que se perpétuent la domination/soumission, le sauvequipeut dans la séparation et la compétition. « Si nous n’explorons pas cette histoire, qui vit activement en nous, comme les phases précédentes de notre vie individuelle, nous ne serons jamais libérés de son emprise », nous dit Bookchin 18. En faire une priorité dans nos groupes militants relève d’une démarche non pas esthétique, mais bien stratégique pour faire échec à l’ennemi intérieur qui parasite nos relations 19. Dans cette démarche et volonté de dissoudre ces entraves psychiques, le naturalisme dialectique se présente comme un allié de taille : la conviction par la connaissance de nos potentialités créatives, inhérentes à notre nature biologique, comme fait historique. Mais entamer ce processus du faire ensemble dans une authentique culture du dialogue ne prend du sens que dans la ferme conviction de savoir vers où l’on se dirige ensemble et quels chemins il nous faut nous engager et tracer et surtout ceux à ne pas prendre.

Utopies concrètes et déterminations stratégiques

Avec Jérôme Baschet, nous partageons bien l’identification du capitalisme comme ennemi, mais aussi de ses alliés objectifs, à savoir, les anticapitalismes tronqués depuis l’extrême droite à la gauche des « néo » avec leur « point L ». Que ce « L » fasse référence au libéralisme (ou néolibéralisme) pour la gauche molle et son réformisme ou à Lénine (néoléninisme) pour les soi disant révolutionnaires partisans du Grand Soir. En effet, domestiquer le capitalisme n’est pas plus réaliste que de tenter de le briser. Tout comme la bourgeoisie a su le faire avec l’aristocratie, il nous faut, peu à peu, créer une dynamique capable de l’éroder. L’éroder au sens politique du terme en créant, en tension et contre l’État, un pouvoir communaliste 20, un pouvoir capable de porter en son sein des réalisations sociales vraiment alternatives capables de tourner le dos aux logiques économiques dominantes. Soit ce « mouvement moléculaire fortement enraciné dans chaque communauté et dans chaque quartier » qui permettra de construire l’autonomie à commencer par la souveraineté alimentaire. C’est la condition sine qua non pour que le monde entier puisse sortir de la sphère hautement destructrice du « monde de l’économie » et de tout ce qui dans « cette société estorganisé autour et pour la production marchande ».

Voilà fixée une partie de l’horizon, de l’objectif de notre démarche. Un imaginaire qui s’étoffe et prend forme avec autant de modes d’organisation sociales et expériences révolutionnaires passées et contemporaines comme celles du Rojava, des zapatistes, des ZAD, etc. À la condition de se politiser, c’est bien l’ensemble de ces expériences alternatives palpables ici et maintenant, celles qui redessinent ce monde possible et imaginable où la société réconciliée avec ellemême est à même de réalimenter le monde naturel qui l’a vu naître. Ces interstices, ces fissures, ces brèches, sont pourtant minimisés pour ne pas dire vues de façon anecdotique, par certains auteurs comme Frédéric Lordon. Elles sont taxées d’« îlots » ou, au mieux, d’« archipels » qui semblent flotter sans consistance, dans l’océan agité du capitalisme. Ce serait leur donner raison que d’en rester à des réalisations telles que les communes de l’Amérique des années 1960 1970, qui en fuyant la ville, on fait fi du communalisme comme projet d’organisation politique. Un fait qui se répète dans nombre de réalisations contemporaines 21.
Vivre dans une enclave au sein d’un milieu capitaliste reste une forme d’« individualisme collectif » en oubliant la lutte sociale et donne cette illusion d’être libre et vivre en écolo. Mais pas seulement, outre le fait de potentiellement épouser le spectre du « survivalisme », ces alternatives autogérées, qu’elles soient de l’ordre de la coopérative 22, de l’entreprise projetée dans l’arène du marché, ne peuvent que tomber dans le jeu de la compétition. Qui plus est, nombre de communautés ne semblent pas pouvoir s’extraire des projets de management ourdis au cœur même du capitalisme par ses tendances les plus sinistres.
Ainsi, sous prétexte de coopération, d’éloignement des ego, etc., les Colibris, par exemple, en viennent à adopter des techniques de management issues de cette lignée, comme l’« holacratie ». Dans le cas peu probable d’une élimination des chefs, le seul à commander sera le marché. Là est résumé tout le danger de ces îlots qui, loin de représenter des brèches ou des fissures, détournent des luttes sociales et sont autant de soupapes de sécurité du système en canalisant peurs et inquiétudes.

Stratégie et chaînon manquant

Jérôme Baschet laisse entrevoir une authentique révolution lorsqu’il évoque la possibilité de « blocages et soulèvement » ou l’hypothèse d’« espaces libérés [qui] pourraient bien renforcer les difficultés de reproduction des circuits du capital », voire faire émerger « un bien vivre pour toutes et tous dans un rapport repensé au vivant [qui] ne pourra que s’intensifier, donnant lieu à une véritable guerre des mondes » 23. Nous pourrions multiplier les exemples où la victoire semble à portée de la main : « Un saut décisif s’accomplit lorsque l’assemblée glisse des tâches de coordination de la lutte à celles de l’organisation de la vie collective, dans un contexte de paralysie du monde de l’économie et de destitution des pouvoirs en place » 24.
Si tel fut le cas de la ZAD de Notre Dame des Landes, cela est loin de constituer une généralité, Reconnaissant la nécessité de la mise en réseau de ces « espaces libérés », il admet que cela « peine à se concrétiser », et pour cause. Nous avons vu auparavant combien le chemin qu’il nous reste à parcourir est encore long pour les concevoir comme « espaces libérés ».
Il me semble qu’en général Baschet va un peu vite en besogne car son analyse manque d’un développement important entre la situation actuelle et les scénarios révolutionnaires qu’il évoque. Si la stratégie proposée nous séduit par le style alerte de son écriture, finalement, elle s’en remet davantage à la spontanéité qu’à un souci d’organisation. Il ne s’agit pas là de condamner la spontanéité, elle surgit lorsque l’on s’y attend le moins et elle « n’exclut ni l’organisation ni la structure. Au contraire, elle engendre habituellement des formes d’organisation non hiérarchique, authentiquement organique, autocréée, volontaire. La seule question sérieuse que soulève la spontanéité est de savoir si elle se fonde ou non sur des connaissances, si elle est informée ou non » 25. De là, la nécessité de l’existence, ne serait-ce que d’un germe d’organisation. Certes, l’organisation ne se décrète pas, pas plus que le communalisme. Elle doit répondre à un besoin et c’est là que les énergies nécessaires à la satisfaction de ce besoin naissent et se propagent avec détermination. Mais ce besoin se fera sentir dès lors que l’on s’engagera sur le chemin de l’autonomie.
Avant de poursuivre, il nous faut insister sur un passage clé de Basculements et qui aurait dû être amplement développé, sans quoi « basculer » court le risque de n’évoquer que de la précipitation : Pour se transformer en basculement, le moment insurrectionnel a besoin d’une puissance préexistante, faite de pratiques d’auto-organisation collective, de capacités techniques bien rodées, de subjectivités coopératives rompues à l’art de faire ensemble. Bref, de l’expérimentation, même très partielle, d’une existence déjà communale 26.

Une stratégie concrète pour ici et maintenant

De la nécessité de s’organiser

C’est ici que l’on rejoint Jérôme Baschet, mais celuici passe trop vite sur cet aspect crucial et reste un peu évasif sur comment y parvenir, or il s’agit là de la première étape pour enclencher une véritable stratégie, à commencer par la nécessité de créer ces espaces, préserver nos acquis et prévenir la répression face à laquelle nous sommes démunis. Actuellement, la nécessité de l’organisation n’apparaît pas. Pour ne prendre que les cas français les plus récents, on voit ce que peut l’État : aux Gilets jaunes réclamant de vivre dignement, il répond par la crevaison des yeux et l’arrachement des mains. Comment imaginer que l’État laissera se constituer des communes autonomes sur son territoire, sans les broyer comme la première ZAD venue ?
Car ces caractéristiques sont inscrites dans les gènes du capitalisme, libéral ou autoritaire, selon sa convenance. Il nous faut prendre au sérieux ce sujet, on ne peut le traiter d’une façon brève et superficielle. Nous avons eu trop de morts dans l’histoire de l’émancipation.

En plus de faire mal, les défaites nous plombent pour des années, alors mieux vaut adopter un incessant mais prudent gradualisme stratégique. Et c’est précisément cette dynamique de construction qu’il nous faut mettre en priorité et nous permettra d’accéder à un réel contre-pouvoir populaire. Öcalan le dit ainsi : « Le concept d’autodéfense ne renvoie pas à une organisation armée ni à un statut militaire mais à une organisation de la société : de quoi lui permettre de se protéger, dans tous les domaines en mobilisant toutes les organisations » 27. Ce qui fait écho à Bookchin qui préconise la création d’institutions démocratiques « catégoriquement nouvelles », qu’elles soient légales ou illégales, capables de fournir les ressources éducatives et les idées vitales nécessaires à la réalisation des objectifs communistes municipaux et libertaires.
Au vu des difficultés de toute sorte que nous avons évoquées, retourner vers le passé se révèle d’une impérieuse et vitale nécessité car bien des expériences communalistes, en tant que mouvement, se trouvent dans le passé. Elles sont à part entière, accumulation d’expériences que l’on va étudier, filtrer, sélectionner, contextualiser et finalement utiliser comme marchepied préalable à toute stratégie construite avec de grands axes tout en restant diversifiée et souple, le chemin se faisant en marchant.

La colonisation du présent par le futur passe par l’histoire

La première partie de l’enquête historique de Bookchin comme analyse des causes du désastre, nous l’avons vu, traverse toute l’écologie sociale. La seconde partie de son enquête historique, qui porte sur la manière de surmonter cette crise, le mène à intégrer pleinement l’écologie à la tradition socialiste révolutionnaire, et plus encore la communaliste. Ce qui implique de dépoussiérer celleci, de la débarrasser de ses mythes comme celui du Grand Soir et lui préférer une organisation de la lutte ici et maintenant, poursuivre les objectifs fixés et créer des institutions alternatives en tension avec celles de l’État. Et puisque les sociétés de classes trouvent leur germe dans les sociétés hiérarchiques, dissoudre toute domination – dont le patriarcat et celle de la société sur la nature – reste un des objectifs de cette politique.

En faisant interagir les êtres humains entre eux et les éléments des écosystèmes auxquels ils appartiennent tous, le communalisme de Bookchin place le lien social au cœur de son organisation, fondement d’une écocommunauté reposant sur le principe de « l’unité dans la diversité ».

Bookchin revisite ses prédécesseurs, de Gustave Lefrançais à Ernst Bloch en passant par Proudhon, Bakounine, Kropotkine et bien d’autres. En filigrane, leur message était que les systèmes sociaux basés sur le pouvoir étatique et le contrôle allaient d’une certaine façon contre la nature, humaine et non humaine.

Ainsi Bookchin, fort de l’étude des penseurs qui le précèdent dans des domaines extrêmement variés, mais aussi grâce à l’expérience accumulée de révolutions passées au peigne fin, finit par actualiser le communalisme du 19e siècle en y intégrant l’écologie, non pas comme un ajout – la nécessité de « préserver l’environnement » – mais comme un profond ancrage dans sa problématisation écologique du politique. Se nourrissant de la pensée anarchiste et de celle de Marx, il les dépasse en se saisissant de l’écologie, comme science, pour faire du communalisme une synthèse de ces trois fondements théoriques.

Mais le projet communaliste de Bookchin préfigure déjà toute une stratégie en se gardant bien de séparer les moyens et les fins, car il s’agit là d’un problème qui a toujours affligé le mouvement révolutionnaire. Justement, le concept de double pouvoir comme moyen d’atteindre une fin révolutionnaire et de former une société rationnelle permet de surmonter le gouffre entre la méthode pour obtenir une nouvelle société et les institutions qui la structureraient. Et Bookchin d’expliquer :

« Sans une organisation clairement définissable, un mouvement risque de tomber dans la tyrannie de l’absence de structure. […] En étudiant de près l’histoire des révolutions passées, le problème le plus important que j’ai rencontré a été précisément la question de l’organisation. Cette question est cruciale, notamment parce que dans un bouleversement révolutionnaire, la nature de l’organisation peut faire la différence entre la vie et la mort. Ce qui est devenu très clair dans mon esprit, c’est que les révolutionnaires doivent créer une organisation très proactive – une avant-garde, pour reprendre un terme largement utilisé jusqu’à ce que la nouvelle gauche l’empoisonne en l’associant aux bolcheviks – qui possède elle-même sa propre paideia rigoureuse, qui crée une adhésion responsable de citoyens informés et dévoués, qui possède une structure et un programme et qui crée ses propres institutions, basées sur une constitution rationnelle » 28.

Agir ici et maintenant

Partant de là, je plaide en premier lieu pour la mise en commun de nos réflexions allant dans ce sens afin d’étudier comment faire émerger un mouvement communaliste partant de nos racines, de notre tradition révolutionnaire européenne. Pour comprendre ce que peut représenter un mouvement libertaire, la référence à l’Espagne des années 1930 est incontournable. Fort de ses syndicats, la CNT, ses athénées libertaires, ses écoles rationalistes, ses journaux, ses tendances naturalistes et communalistes, féministes, de l’urbanisme social, ses coopératives de logement, de consommateurs, sa gymnastique révolutionnaire, etc., ce mouvement construit sur le long terme, déboucha sur la plus grande révolution du 20e siècle selon Debord. Il n’y a rien à imiter, ni à copier, pas plus que l’on ne peut fermer les yeux sur le reste du monde, et c’est pourquoi, fort de ces acquis il nous faut partir de notre réalité actuelle, ici et maintenant. Se doter d’une organisation suppose l’élaboration d’une stratégie adaptée au lieu où l’on se trouve.
La stratégie zapatiste est différente de celle des Kurdes du Rojava. L’organisation du rapport de force, c’est bien l’enjeu de la confrontation et de la proposition stratégique de Bookchin quand il parle de « double pouvoir ».

Si nous observons les tendances de différents mouvements sociaux contemporains, comme celui des Gilets jaunes, les ZAD, Nuit Debout ou divers courants municipalistes, nous voyons se dessiner, en dépit de leur hétérogénéité, un imaginaire politique qui place en son centre le motif de la Commune. Si cet imaginaire communal fait l’objet d’appropriations diverses, j’avance dans mon livre 29, l’élaboration commune d’une feuille de route « d’unité dans le dissensus », pour mettre en exergue la richesse que constitue la diversité, au niveau local puis à des niveaux plus amples. Cette charte s’adresserait à tous les mouvements sociaux dont l’objectif numéro un est de sortir du capitalisme tout en bâtissant son alternative, autrement dit le communalisme. Ce lien constituerait un acte fondateur d’une organisation articulée et souple qui représenterait en outre un premier acte d’autodéfense. Il s’agit de répertorier, visiter, débattre et constituer un authentique maillage des territoires pour, de nos liens solidaires, tisser un filet de protection et d’entraide.
Mais pas seulement, enclencher une dynamique c’est mettre les chances de notre côté afin de faire basculer des collectifs qui sont encore dans l’indécision. Voire même, à un moment donné, dans un rapport de force qui soit favorable, faire basculer certaines fractions politiciennes « progressistes ». Cela nécessite un premier temps long accompagné de patience et opiniâtreté, contrairement à une époque révolutionnaire. « Une fois enclenchée cette période, une année, quelques mois, même, peuvent entraîner une évolution de la conscience et de l’état d’esprit populaires qui aurait exigé, en d’autres temps, des décennies » 30.

Mon livre avance une série de propositions, dont celle d’une feuille de route, d’une charte à présenter aux différents mouvements de luttes et d’alternatives où les arguments qui suivent seront proposés pour aider à se positionner tout en recevant les critiques pour avancer. Tendre vers une souveraineté alimentaire authentique est une des priorités : local, circuits courts, AMAP. Cette pratique autogestionnaire est un maillon fondamental pour sortir du capitalisme et atteindre l’autonomie, à commencer par le domaine de l’alimentation. Ce lien fort et pragmatique entre le producteur paysan et le consommateur responsable et citoyen ouvre la voie à une « économie morale », comme court-circuit de l’économie de marché. La proximité, la complicité et le lien fort, étant à même de faire fondre la médiation de l’argent. Nous découvrons ainsi par la pratique les vertus et le plaisir de faire ensemble dans la difficulté, mais aussi dans la joie, condition pour ouvrir les portes à cette dimension du « buen vivir », comme un tout, cette dimension que vivent et nous transmettent les zapatistes. Seul ce vécu ouvrira graduellement les mentalités pour une récupération collective progressive des moyens de production et par une municipalisation de l’économie. Il en ira de même pour tous les autres domaines de la vie, comme l’enseignement, l’énergie, le logement, la culture, l’artisanat, l’industrie, etc. Bref, à nous de créer cette dynamique d’auto-institution politique de ces communs, capable de mettre en œuvre, en premier lieu, la solidarité vitale entre nous, les humains, afin que l’on puisse la partager et l’étendre à l’ensemble des êtres vivants et au milieu naturel.

  1. Jérôme Baschet, Basculements. Mondes émergents, possibles désirables, Paris, La Découverte, 2021. ↩︎
  2. Ibid., p. 188. ↩︎
  3. « Janet Biehl : “Bookchin a été marginalisé” » (entretien), Ballast, 15 octobre 2015, sur : revue-ballast.fr ↩︎
  4. Murray Bookchin, « Économie de marché ou économie morale », dans « Pouvoir de détruire, pouvoir de créer. Vers une écologie sociale et libertaire », Paris, L’Échappée, 2019. ↩︎
  5. Celia Izoard, « Le totalitarisme numérique de la Chine menace toute la planète », Reporterre, 6 janvier 2021, sur : reporterre.net ↩︎
  6. J. Baschet, Basculements, op. cit., p. 59. ↩︎
  7. Ibid., p. 67-68 . ↩︎
  8. Jérôme Baschet, Défaire la tyrannie du présent. Temporalités émergentes et futurs inédits, Paris, La Découverte, 2018. ↩︎
  9. Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Éd. Champ libre, 1971, §147, p. 121. ↩︎
  10. Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Éd. sociales, 1969, p. 13. ↩︎
  11. Murray Bookchin, Qu’est-ce que l’écologie sociale, Lyon, Atelier de Création libertaire, 2003, p. 16. ↩︎
  12. J. Baschet, Basculements, op. cit., p. 145. ↩︎
  13. Murray Bookchin, « Écologie : socialisme ou barbarie », Ballast, 20 mars 2020, sur : revue-ballast.fr ↩︎
  14. Murray Bookchin, Ecology of Freedom, repris dans L’écologie sociale. Penser la liberté au-delà de l’humain, Marin Schaffner (ed.), Marseille, Éd. Wildproject, 2020, p. 270-271. ↩︎
  15. Voir Murray Bookchin, dans Janet Biehl, Le municipalisme libertaire. La politique de l’écologie sociale, Montréal, Éd. Écosociété, 2013 [1998], p. 247. ↩︎
  16. Janet Biehl, « Kurdish Communalism », New Compass, 9 octobre 2011, sur : newcompass.net ↩︎
  17. Gustav Landauer, Appel au socialisme, Saint-Michel de Vax, La Lenteur, 2019, cité par Renaud Garcia, « Gustav Landauer : un appel au socialisme », Ballast, 13 janvier 2020, sur : revue-ballast.fr ↩︎
  18. M. Bookchin, Qu’est-ce que l’écologie sociale, op. cit., p. 16 17. ↩︎
  19. Ibid., p. 43. ↩︎
  20. Voir M. Bookchin, « Écologie : socialisme ou barbarie », art. cit. ↩︎
  21. Voir par exemple Marcel Sévigny, « La trajectoire incertaine du Projet Bâtiment 7 », Possibles, 45, 2, 2021, sur : revue-possibles.ojs.umontreal.ca ↩︎
  22. Voir par exemple Nolwenn Weiler & Sophie Chapelle, « Comment les coopératives agricoles reproduisent la loi de la jungle néolibérale », Basta !, 12 octobre 2021, sur :
    basta.media ↩︎
  23. J. Baschet, Basculements, op. cit., p. 203. ↩︎
  24. Ibid., p. 204. ↩︎
  25. Murray Bookchin, Spontanéité et organisation, Paris, Éd. Noir et Rouge, 1978, p. 12. ↩︎
  26. J. Baschet, Basculements, op. cit., p. 206. ↩︎
  27. Abdullah Öcalan, La révolution communaliste. Écrits de prison, Montreuil, Éd. Libertalia, 2020, § « Le système d’autodéfense » ↩︎
  28. M. Bookchin, Spontanéité et organisation, op. cit., p. 17. ↩︎
  29. Floréal Romero, Agir ici et maintenant. Penser l’écologie sociale de Murray Bookchin, Rennes, Éd. du Commun, 2019. ↩︎
  30. M. Bookchin, Spontanéité et organisation, op. cit., p. 31. ↩︎

Basculements – Mondes émergents, possibles désirables

3 commentaires

  1. Bonjour Floréal

    J’ai lu l’article que vous avez publié et répondant au livre de Baschet. Je ne connais pas l’auteur ni le livre précis qui fait l’objet de l’article. Quoi qu’il en soit, tes commentaires sur le contenu de l’article ont suscité chez moi une réflexion que je vais essayer de détailler ci-dessous.
    La question des  » failles  » du système comme espaces possibles de transformation sociale, ou d’action pour la provoquer, j’en discute depuis un certain temps avec des camarades qui étaient enclins à les utiliser. Puisque nous nous trouvons dans une société numérisée, l’espoir de « fissures » dans le système, en raison de sa fragilité à des moments précis, semblait ouvrir des possibilités de révolte. J’ai toujours été sceptique quant à cette possibilité. Il est vrai qu’à un moment donné, une attaque contre les entrailles ou les égouts de l’État peut déclencher une situation qui, tout au plus, va créer un désordre social mais dans le sens où ceux qui sont lésés seront toujours les mêmes, sans que la légitimité de l’État ne soit remise en question. Qu’est-ce qu’une fissure ? L’étincelle qui a enflammé le 15M ?
    Ce qui a cramé dans le 15M, ce n’est pas le système corrompu qui l’a provoqué, mais le mouvement lui-même qui cherchait à transformer le système. Paradoxe des mouvements non informés et non formés, comme tu le soulignes dans un paragraphe de l’article.
    Le vide de pouvoir de la République face au soulèvement fasciste a-t-elle été une fissure par laquelle la Révolution sociale s’est glissée en 1936 ? Sans aucun doute, mais sans l’organisation, l’information et la formation de la classe ouvrière au cours des décennies précédentes, rien n’aurait été possible. L’important, c’est la base organisationnelle, sans laquelle ni les fissures ni les moments ne seront utilisables. Sur ce point, tu sais bien que nous sommes d’accord.
    Quelle organisation ? Mes références historiques et sociales me conduisent au Syndicat.
    C’est ainsi qu’elle était entendue au début du XXe siècle, lorsque les ouvriers considéraient l’exploitation du travail comme la cause de la misère et de la pauvreté dont souffrait la population. Et ils et elles ne se contentaient pas de l’amélioration des conditions de travail, mais c’est à partir de là qu’une transformation sociale serait possible.
    Qu’est-ce que nous considérons aujourd’hui comme axe central de la domination ? À mon avis, le travail continue d’être au cœur du modèle de la vie capitaliste. Nous ne sommes pas les seuls que le le système domine partant de l´extraction de la plus-value, les mouvements féministes et écologistes ont mis en avant la domination patriarcale, le souci de la reproduction et la soumission des femmes, l’exploitation de la nature, la destruction de l’agriculture dans les lieux de résidence, pour continuer à accumuler la plus-value, seul objectif du Capital. Et parfois, trop souvent, nous ne trouvons pas les espaces communs.
    Malheureusement, le modèle syndical, qui devrait être global, n’est pas une réalité, même si les syndicats de référence ont approuvé un certain nombre d’accords sur le sujet.
    En ce qui concerne la souveraineté alimentaire en tant que lutte prioritaire, qui pourrait être le début de la création souhaitable de structures parallèles pour affronter le capital, je suis d’accord avec toi mais l’expérience, à quelques honorables exceptions près, me fait penser que l’agriculture « alternative », à petite échelle, écologique, locale, ou tout ce que l’on voudra, est actuellement viciée par l’objectif de se créer un espace sur le marché.
    Le rapprochement ou la collaboration entre petits producteurs et consommateurs, tel que défendu et argumenté par le modèle des coopératives de producteurs-consommateurs, n’est efficace que lorsqu’il y a une conscience de démanteler le capitalisme. La plupart du temps, ces partenariats améliorent la qualité des aliments, mais sauf en quelques occasions honorables, la conscience de la lutte contre le Capital est présente. Et les jardins communautaires, soutenus et défendus par les institutions, n’ont pas l’aspect communautariste qu’ils pourraient avoir si au lieu de les morceler pour un usage individuel, il y avait une vision commune de l’espace. C’est un sujet sur lequel j’ai réfléchi récemment, car il s’agit d’une initiative qui est née dans le village à partir de la coopérative de consommation d’énergie et que j’aimerais développer avec l’apport des personnes et des expériences.
    À l’époque théocratique et féodale comme dans le capitalisme, l’image créée par l’idéologie dominante est celle de l’être humain statique et le seul possible au sein des structures de domination. Elle est résumée à notre époque par le mantra de la fin des idéologies et le déni de toute alternative meilleure que l’idéologie propagée par le capitalisme. Les médias de masse propagent les alternatives comme un assaut contre l’ordre, le seul possible. À partir de ce postulat, il est difficile d’imaginer que nous sommes des êtres changeants et en constante évolution.
    Pour terminer sur un point d’optimisme, toutes les actions que nous menons aujourd’hui à partir des différentes luttes sont des grains de sable qui peuvent, et doivent, s’unir. Bien que je ne participe pas activement au groupe, il m’aide à connaître des expériences que je peux utiliser comme exemple pour montrer que tout n’est pas statique.

    Un abrazo y salud !

    Manolo (de Vic)

    • Bonjour Manolo,

      Pour en venir directement au sujet de l’article, je pense que tu as raison d’insister sur l’organisation nécessaire et indispensable pour renverser la société dans laquelle nous vivons et que si nous ne le faisons pas, le basculement sera une horreur pour ceux et celles qui en ont toujours été frappés.

      Tes arguments et tes exemples sont éloquents et irréfutables quant à l’opportunité que représentent les fissures et comment elles peuvent se présenter comme opportunité à condition de s’organiseren amont. En cela, l’histoire est, de ton point de vue comme du mien, un élément clé à comprendre.

      Vient alors le moment où tu poses la question fondamentale : « Quelle organisation ? Et là, comme moi, tu en reviens à l’histoire mais tu sembles t´y enfermer en posant à nouveau le Syndicat comme axe central. Et ce n’est pas que je nie la nécessité de l’organisation syndicale, puisqu’elle est une nécessité face à l’exploitation qui est ce qui maintient toute structure de domination et qui a peut-être un rôle important à jouer dans une phase de transition vers le communalisme, par l’occupation des centres névralgiques.

      De plus, si nous prenons le syndicat anarcho-syndicaliste comme structure organisationnelle, il ne fait aucun doute que nous partons du local au régional et de là, grâce au fédéralisme et au confédéralisme, au monde entier. Quelque chose de très similaire à ce que le communalisme et le confédéralisme démocratique kurde, ainsi que les zapatistes eux-mêmes, préconisent.

      Jusqu’à présent, je pense que nous sommes toujours d’accord.

      La seule chose, c’est que nous ne pouvons plus, comme c’était le cas dans les années 1930, imaginer une stratégie basée principalement sur cette force. Non pas qu’elle ne soit pas importante, mais nous ne pouvons pas compter sur une classe ouvrière de moins en moins présente et qui n´est plus aussi hégémonique. Nous n’avons plus ces usines gigantesques, remplies d’ouvriers qui formaient une sorte de communauté, face à un patronat incapable de répondre aux besoins élémentaires de ses ouvriers. Ces besoins fondamentaux non satisfaits et cette communauté potentielle étaient en quelque sorte les deux moteurs essentiels qui alimentaient la force du prolétariat. Un prolétariat jeune dans la péninsule ibérique encore dans les années 1930, contrairement à ce qui se passait en Allemagne par exemple, puisque le prolétariat dans ce pays était déjà bien discipliné par les machines et par l’usine, en d’autres termes « domestiqué », d’une certaine manière, comme Marx l’avait déjà averti dans un moment de lucidité, mais aussi Gustav Landauer, Camilo Berneri et plus tard Bookchin :

      « …à mesure que la production capitaliste progresse, une classe ouvrière se développe qui est amenée par son éducation, sa tradition et ses habitudes à considérer les exigences de ce mode de production comme des lois évidentes de la nature. » Karl Marx

      « Si une révolution devait avoir lieu aujourd’hui, aucune couche de la population ne saurait moins que nos prolétaires de l’industrie ce qu’il faudrait faire. » Gustav Landauer (Appel au socialisme 1911)

      « Ce caractère utilitaire, cette avidité, cette inertie générale caractérisent particulièrement le prolétariat industriel. » Camillo Berneri 1934

      …le marxisme a formulé le projet de la bourgeoisie avec plus de cohérence et de clarté que les libéraux les plus agressifs. En considérant l’usine et l’évolution technique comme socialement neutres, le « socialisme scientifique » a refusé de voir le rôle joué par l’usine et sa structure hiérarchique complexe pour conditionner les travailleurs à l’obéissance et leur inculquer la soumission dès l’enfance et à tous les stades de leur vie d’adulte. » Murray Bookchin

      Je le répète, ce n’était pas le cas dans l’État espagnol des années 1930 en raison de la prédominance d’un prolétariat de sang essentiellement paysan. Au contraire, en Allemagne par exemple, dans ces communautés de prolétaires, ces derniers étaient déjà formatées par l’usine, par les machines, si bien qu’ils ont fini par alimenter le parti nazi.

      Mais tout cela, une tendance comme l’autre, fait désormais partie de l’histoire, et ce pour diverses raisons. À partir des années 1930, aux États-Unis, avec le taylorisme, une classe moyenne émerge, nourrie par l’illusion de la consommation et liée au système par le crédit à la consommation. Ce phénomène s’étend progressivement dans les pays occidentaux, malgré les luttes ouvrières. Luttes qui sont de plus en plus enclines à réclamer toujours plus d’augmentations de salaires à l’intérieur du système, tout en oubliant la révolution. Tout cela a bien sûr été soutenu par tous les partis politiques de gauche, tous issus de la social-démocratie et œuvrant pour l´économie politique. Ainsi, la montée du consumérisme et de la classe moyenne ont été les deux phénomènes qui ont désactivé la première contradiction du capitalisme. Celle entre les paysans qui étaient privés des moyens de production et la bourgeoisie qui les leur avait pris. Ils n’ont donc eu d’autre choix que de vendre leur force de travail pour survivre. Ce travestissement du capitalisme pour que rien ne change est un fait plus que prouvé dans tous les pays occidentaux depuis les années 60 et 70, sans pour autant supprimer le chômage (comme force de travail de réserve) et la pauvreté.

      Ensuite, surtout à la faveur des nouvelles technologies, avec la robotique par exemple, il y a un surplus de bras et le prolétariat vient grossir les rangs des chômeurs. Les patrons ont cassé les grandes usines et dispersé la classe ouvrière dans un monde concurrentiel et globalisé où la production est éparpillée aux quatre vents, ce qui rend de plus en plus difficile de s’unir et d’affronter le patronat transnational. L’informatique est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, car presque tout le monde est isolé et peut même rester chez soi pour travailler et, même pour les plus « malins », gagner beaucoup d’argent. Avec des machines sophistiquées, plus petites et plus efficaces, le travailleur, au lieu de les commander, ne fait que les servir, très souvent sans savoir qui commande.

      Aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, l' »empire logistique » domine les grandes machines du capitalisme mondialisé, où personne ne sait qui fait quoi. C’est pourquoi les formes de lutte doivent changer. Et c’est ce qu’ont compris les gilets jaunes en occupant les ronds-points car c’est là que l’on peut désormais bloquer les flux qui alimentent le capital. La même chose a été tentée dans les ports. Ce flux est le talon d’Achille du capital, et en même temps il est présenté comme la raison principale de l’extractivisme pressant et du besoin d’énergie pour entretenir ce réseau mondial de moyens de transport. Sans parler de la destruction et de la pollution de l’environnement qui en résultent.

      En fait, nous avons perdu la centralité du travail, mais d’un autre côté, ce n’est pas ce que nous prétendons, puisque le travail est l’exploitation et la soumission aux lois du marché et de la valorisation de la valeur. En d’autres termes, l’usine, le bureau, l’atelier, etc., quelle que soit la forme juridique qu’ils prennent, restent vides de sens, puisque ce qui est produit ne correspond en rien à quelque chose qui puisse être directement utile aux personnes qui vivent dans le lieu où l’on travaille ou là où l’on habite. Si nous continuons à penser d’un point de vue prolétarien révolutionnaire, à quoi nous servirait-il aujourd’hui d’occuper des lieux de travail où sont produites des pièces inutiles ou sans intérêt, pièces qui seront assemblées à l’autre bout du monde pour fabriquer des voitures électriques ou, plus probablement, du matériel de guerre ? à quoi nous servirait-il d’occuper les offices de tourisme ou les nombreuses et inutiles administrations de l’État ?

      Nous n’avons donc pas d’autre choix que de réfléchir à nouveau à partir de notre lieu de vie qui, aussi dégradé soit-il, est le lieu où nous pouvons agir car c’est là que nous pouvons nous poser les questions essentielles : de quoi avons-nous vraiment besoin et comment pouvons-nous le produire ? Tout en prenant soin de notre environnement naturel quand nous serons capables de prendre soin de nous-mêmes d’abord, parce que nous sommes nous-mêmes l’environnement naturel.

      C’est déjà commencer à s’interroger sur le pouvoir et à penser le pouvoir, notre pouvoir comme capacité de décider, d’agir. Agir politiquement, non plus avec La Politique de l’État, mais avec le politique comme un pouvoir des assemblées décisionnelles. Alors pour éviter la dispersion, le communalisme va se concentrer sur le lieu où nous vivons, en commençant par la priorité, rétablir l’autonomie alimentaire, celle qui nous fait défaut dès que le système se fissure, comme ce fut le cas lors de la pandémie. Mais l’autonomie alimentaire, comme l’autonomie énergétique ou autre, ne passe pas par le seul choix d´une forme juridique coopérative, aussi bien de la part des groupes de consommateurs bios que celles des coopératives d’énergies alternatives. Et, comme tu le dis à juste titre, elles se couleront dans la mollesse du système, qui les accueillera pour qu´elles se placent sur le marché ou bien les marginalisera. Ces « alternatives », aussi valables soient-elles, sont illusoires car il leur manque trois dimensions essentielles pour devenir de véritables alternatives au capitalisme qui est Le Problème. A commencer par une analyse radicale de la société dans laquelle nous vivons, ensuite être en phase avec les mouvements en lutte contre la domination et l’exploitation généralisée. Ces deux conditions sont complémentaires, la lutte nourrissant la critique et vice versa. La dernière condition pour sortir de l’impasse est d’avoir un horizon vers lequel diriger nos pas, appelons-le communalisme ou communisme libertaire et c´est en marchant vers cet horizon que nous trouverons le chemin parce que jamais le chemin n´est tout tracé.

      Pour le communalisme, la politique est un retour à la création de mouvement au sens des anarchistes dans l’État espagnol des années 1930, mais avec la centralité du travail en moins. Il est temps que nous tournions cette centralité vers le politique comme une manière de décider ensemble de toutes les sensibilités et préoccupations rassemblées. Que nous décidions en assemblées et en démocratie directe dans nos quartiers et nos villages de ce dont nous avons réellement besoin et de la manière dont nous allons y parvenir. C’est ainsi que les collectivités d’Aragon ont réussi à se rapprocher, plus que dans d’autres parties de la péninsule, de l’utopie communaliste et du communisme libertaire, sans que le marché, l’usine ou le syndicat n’aient le monopole de ce qu’il faut faire ou ne pas faire. C’est ainsi qu’ils ont commencé à sortir des logiques économiques que nous impose l’économie politique, celle de l’État et de tous ses partis politiques, dans tous les aspects de notre vie. C’est le contraire de la routine et du statique…même dans le Syndicat.

      C´est à tout cela je t’invite à réfléchir et à dialoguer, compagnon Manolo, à partir de toutes les réflexions que nous avons menées ensemble jusqu’à présent et que nous poursuivrons pour développer une intelligence collective, la seule qui sache vraiment.

      Un abrazo y salud !

      Floréal

      • Réponse de Manolo, traduite en français par les membres de l’Atelier, bonne lecture : Dans le prolongement du débat sur le type d’organisation le plus approprié pour réaliser la transformation sociale souhaitée, qui inclut la transformation des formes politiques et économiques qui dominent actuellement la société, je souscris à l’idée générale sur le prolétariat, la classe ouvrière ou les classes laborieuses, quel que soit le nom qu’on leur donne, que tu as mise en avant dans les deux écrits que tu as présentés. En ce moment historique, le capitalisme ne déploie pas son potentiel, mais il est au contraire parfaitement installé dans les rues et dans les esprits de manière écrasante, y compris dans l’ancien Sujet historique qui devait faire la Révolution, de telle sorte que l’imagination se référant à d’autres mondes possibles par ce Sujet est réduite à pallier les effets les plus néfastes et les plus visibles du système capitaliste sans toucher à l’essence même qui est la domination et l’exploitation des êtres humains et de l’environnement au nom du progrès et du profit individuel.

        Les travailleuses et travailleurs considèrent la destruction de notre environnement et des vies qui s’y trouvent comme quelque chose d’étranger au lieu de travail.

        Cela soulève deux pistes de réflexion. La première est que les lignes de continuité qui indiqueraient cette proximité sont absentes, non pas qu’elles ne soient pas là avec l’énorme quantité d’informations dont nous disposons. Par exemple les massacres au nom du Coltan dont nous avons toutes et tous connaissance et qui permettent l´existence des smartphones, mais que nous ne boycottons pas, alors que par ailleurs nous appuyons avec toute notre indignation le boycott des produits israéliens en raison du génocide du peuple palestinien. Le massacre du Coltan remet en cause notre mode de vie, auquel nous ne renonçons pas, le boycott des produits israéliens est un devoir moral qui apaise notre conscience mais ne remet pas en cause notre modus vivendi.

        L’introduction dans le débat social de l’effondrement possible du capitalisme et, avec lui, de la « sécurité » de l´emploi, n’est rien d’autre qu’un écran de fumée qui conduit à des discussions sur le moment et la manière dont la fin de l’humanité se produira, mais en aucun cas le débat social ne porte sur la fin du capitalisme, le laissant dans les limbes en n’associant pas le fait que le capitalisme ne va pas s’effondrer mais que la « sécurité » de l’emploi est en train de s’effondrer, et que le Capital trouvera toujours de nouvelles façons de continuer de se perpétuer si nous n’imaginons pas une autre organisation sociale possible. D’où la contradiction flagrante face au Coltan et aux produits israéliens.

        La deuxième réflexion se fonde sur l’évolution historique de la classe ouvrière, qui est passée du statut de danger pour le capitalisme à celui de soutien à ses formes d’organisation et de production. Nous ne remettons pas en cause ce que nous produisons, pour quoi et pour qui, comment nous le produisons, ni les effets que cela produit sur l’environnement et sur les êtres humains. Il ne s’agit pas seulement du produit final, mais aussi des matériaux nécessaires pour le produire. J’aimerais penser que dans l’hypothèse historique du triomphe et du développement des révolutions menées par la classe ouvrière, ces questions auraient été développées et auraient été primordiales pour ceux qui les ont menées. La distance émotionnelle de leur expulsion de la campagne et de l’agriculture, le lieu de vie commune et communautaire qu’ils avaient connu, était très proche et la connaissance de son maintien n’était pas aussi éloignée qu’elle ne l’est aujourd’hui lorsque la conscience agro-industrielle prédomine. L’idéologie productiviste a dénigré les modes de vie traditionnels liés à l’agriculture et nous en sommes également venus à croire que la vie à la campagne présentait des conditions douloureuses que l’industrialisme a surmontées.

        Bien sûr, la transformation vers le communalisme doit balayer le travail, il doit être aboli et je suis tout à fait d’accord pour dire que l’une des revendications qu’un syndicat anarcho-syndicaliste doit avoir est l’abolition du travail. À partir de cette position syndicale, qui peut sembler contradictoire si le syndicat se consacre uniquement à la lutte et à la défense de conditions de travail décentes, mais si, au lieu de demander plus de travail, comme le font les syndicats consensuels, nous nous consacrons à entrelacer des conditions décentes avec une production décente, avec l’environnement et les vies, en rapport avec les besoins de base, il est possible d’imaginer une autre façon de vivre et de créer des solutions qui profitent à nos vies, aux vies de tous. Nous ne devons pas éviter les contradictions, le monde plat nous est déjà fourni par le système capitaliste.

        Chacun de nous a un espace social dans lequel il développe sa vitalité, sa force de vie. Le syndicat, idéologisé par l’anarchisme, doit être compris comme un moyen, pas le seul, mais nécessaire pour créer dans le monde du travail ces lignes de continuité qui remettent en question ce que nous faisons et nous rapprochent des réflexions qui devraient briser les murs mentaux que le capitalisme nous a imposés. Je ne m’étendrai pas sur les conditions de travail actuelles, elles sont bien connues. Sans l’existence de personnes qui, à partir des syndicats anarcho-syndicalistes, tentent de les améliorer, la situation serait désastreuse. Profiter de cette lutte pour introduire des idées et des concepts qui font réfléchir et remettent en cause le travail et son organisation est une tâche que nous ne devons pas ignorer. Pour imaginer de nouveaux mondes, il faut pouvoir remettre en question le monde actuel. C’est pourquoi, ici et maintenant, j’attache de l’importance au syndicat en tant qu’organisation qui transforme aussi les mentalités et à partir de laquelle on peut imaginer des voies de transformation.

        Manolo (Taradell mai 2024)

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