La société du spectacle, décrite par Debord, et si l’on cherche à dater son apparition, commence à prendre place au moment où la logique marchande (le capitalisme) s’empare de l’image comme instrument de contrôle de la psyché humaine; moment que l’on peut associer à l’apparition du cinéma parlant, vers 1929-1930.
Walter Benjamin, dans une lettre à Adorno fin 1938, avait d’ailleurs bien remarqué cette mutation produite par l’arrivée du film sonore et ses conséquences sur le champ culturel.
Pour devenir agissante, l’image devait sciemment être « orientée » et ne plus être laissée ouverte aux libres associations de l’imaginaire que l’on retrouvait encore dans le cinéma muet et qui, comme le dit alors Benjamin, « suscitait plus facilement des réactions mal contrôlables et politiquement dangereuses ». C’est à ce moment que naît le « spectateur », celui à qui désormais l’on va dire à quoi il doit ressembler, comment il doit orienter ses désirs, celui pour qui sera prédéterminée sa vision du « bien » et du « mal ». Celui qui désormais n’aura plus que l’illusion d’un choix qui, en réalité, aura déjà été fait à sa place et qui lui sera par ce biais directement suggéré et dicté par l’intermédiaire de la vedette. Vedette ou star dont la fonction en tant que modèle d’identification est de figurer des types variés de style de vie et de styles de compréhension de la société.
Le rôle dévolu à la vedette ne pouvait que prendre place dans la logique d’intégration propre au système dominant où l’identitaire, la mise en avant d’un particularisme de façade, a pour effet principal d’occulter la réalité sociale commune au plus grand nombre ; les rapports de classe, l’écrasante réalité des inégalités sociales, sont ainsi invisibilisés.
Remarquons que les réseaux dits sociaux, avec la mondialisation d’internet et la prolifération des bien nommés influenceurs, ces vedettes de proximité prenant directement place dans le système marchand, ne pouvaient que participer de cette généralisation de la domination du spectacle.
Le spectacle n’étant après tout que la forme globale d’un substitut à la religion; religion dont la spécificité est d’être pour l’essentiel « inconsciente » et sans relation immédiate à son dogme qui n’est autre que l’Économie politique et sa liberté du marché étrangère à toutes autres préoccupations.
Pour le dire brutalement, c’est l’essentiel de la liberté effective qui a été liquidée là, la ruine de l’individualité et de la conscience qui devrait l’accompagner.
On a beaucoup glosé sur la manipulation des foules et sur les thèses de ses différents promoteurs mais curieusement cette transition particulière et ses conséquences sociologiques et tout aussi bien politiques ne sont pratiquement jamais évoquées.
Pour se saisir du concept du spectacle, on se reportera bien sûr au livre de Guy Debord et éventuellement à la présentation que nous avons pu en faire sur ce site même : https://ecologiesocialeetcommunalisme.org/2024/04/30/la-societe-du-spectacle-de-guy-debord/