Nous assistons à un très curieux phénomène en notre post-modernisme finissant : alors que l’on assiste de manière permanente à la dénonciation de multiples discriminations, de sexe, de religions, de couleur, d’âge ou d’apparence, notre époque tend à oublier (ou devrait-on dire cherche à faire oublier) la discrimination centrale qui caractérise la présente organisation sociale, celle qui vise les pauvres. C’est comme si ce sujet, qui conditionne pourtant les réalités matérielles et existentielles d’un très grand nombre de personnes, était devenu tabou et décidément par trop dérangeant pour qu’on l’aborde.
On parle donc beaucoup désormais de la diversité et du respect qui lui serait du, mais le fait d’être pauvre, d’être né pauvre et la plupart du temps de devoir le demeurer ne provoque semble-t-il aucun respect ; être pauvre dans la société capitaliste est le péché suprême et semble-t-il la faute impardonnable. Le grand avantage de la discrimination financière, c’est qu’elle peut se faire sans avoir à désigner personne, naturellement si l’on peut dire : les inégalités croissantes qui l’autorisent, provoquent leurs effets en toute logique. Si vous n’avez pas d’argent, vous habiterez par force dans les zones les plus dégradées et les moins attrayantes, vous serez amenés à vous nourrir avec les ersatz d’aliments produits par l’industrie, et votre santé en payera naturellement le prix.
Vous partirez en vacances là où cela n’est pas cher et brièvement ou vous ne partirez pas du tout.
Vos enfants, et quelques soient leurs origines géographiques ou leur futur orientation sexuelle, subiront de plein fouet la pauvreté de cet environnement matériel et psychologique et, sauf rares exceptions, verront leur destin ainsi tout tracé. Les pauvres étant ceux qui par ailleurs se trouvent dans la nécessité d’avoir a remplir les emplois les plus épuisants et les moins valorisants sont donc aussi ceux qui ont le moins de loisir à consacrer à ce que l’on nomme la culture. Un phénomène qui participera, et même facilitera grandement chez les responsables et bénéficiaires de ce système, du mépris et de l’indifférence dans lesquels ils tiennent les démunis.
Voici bien tout un ensemble de diversités dont les pauvres préféreraient certainement se passer.
Le problème, c’est que ces discriminations là ne semblent plus intéresser personne dans les champs politiciens ou médiatiques qui préfèrent porter ailleurs leur attention.
C’est qu’après tout, le monde capitaliste dont ils participent tous à différents degrés ne prétend même plus vouloir régler la question d’une quelconque manière. L’argent est tout au contraire devenu l’outil commode de la distanciation, le moyen qui permet de tenir les pauvres au loin et de pouvoir donc continuer à les ignorer.
Les pauvres sont pauvres et seront même de plus en plus nombreux à subir cette situation – mais c’est une fatalité avec laquelle il faut faire et ceux qui prétendent contester cet ordre des choses seront présentés comme d’affreux agitateurs cherchant à porter tort à cet ordre là.
Mais quel est cet ordre qui se satisfait de telles discriminations et de leurs conséquences ?
Quelle est cette forme d’organisation sociale dont la caractéristique est de produire toujours plus de misère et d’injustices, en détruisant même les conditions de la vie sur terre et tout en cherchant à occulter ces méfaits et abominations aux yeux du public par des leurres très diversifiés, il faut le reconnaître …
« Mais les pauvres, eux, n’ont aucune envie de contribuer à la diversité économique : ce qu’ils veulent, c’est bien plutôt réduire leur contribution à celle-ci ; ce qu’ils veulent, c’est tout simplement cesser d’être pauvres. » (Walter Benn Michaels)
Et cela n’a rien à voir avec une quelconque idéologie.