ARTE
À voir ou revoir avec un regard critique.
Regarder et suivre les quatre épisodes de « Le temps des paysans» c´est se délecter de l’œuvre du documentariste Stan Neumann qui nous propose une fresque riche en détails scientifiques, historiques et sociaux, pour Arte.
Suivre ses quatre épisodes c´est prendre acte de nos origines et comprendre l’annihilation progressive de la paysannerie à partir de la chute de l´empire romain au VIème siècle. C’est parcourir et prendre conscience de l´accentuation des processus de l´exploitation, de l´aliénation; c’est comprendre notre prolétarisation, notre mise en cage dans les usines et les villes et parallèlement la destruction de notre mère nourricière : la terre. Mais c´est aussi découvrir ce qu´est l’agriculture paysanne et les espoirs de ceux et celles qui s’en revendiquent aujourd´hui.
Ainsi dans une entrevue que l´auteur concède à l’Humanité dans l’humanité du 18 avril 2024, Stan Neumann exprime son étonnement :
« Comme dans « le Temps des ouvriers », vous réalisez un parallèle constant entre l’histoire des paysans et l’époque actuelle. Vous attendiez-vous à tant de convergences ?
J’étais extrêmement surpris. Des problématiques du XIIe siècle se reflètent dans le quotidien d’un paysan roumain d’aujourd’hui. Il y a un parallélisme entre le processus de collectivisation dans les mouvements socialistes et le processus de remembrement et de modernisation en Europe de l’Ouest. Je ne me doutais pas que c’était à ce point convergent. J’ai ainsi découvert, dans l’histoire de la paysannerie, une très belle conception du collectif. Comme un communisme rural du Moyen Âge, mais doublé d’une utopie libertaire qui serait ancrée dans la tradition.
Quelle différence remarquez-vous entre la classe paysanne et la classe ouvrière ?
La notion de liberté est différente. Dans les luttes de la classe ouvrière, il y a une obsession de reconnaissance et d’intégration. Or, on remarque chez les paysans une volonté de ne dépendre d’aucun supérieur, d’aucun pouvoir. Si l’on considère que le monde ouvrier est organisé par la structure de l’usine, de la production, le monde paysan s’assimile plus à une forme d’autogestion. »
Les cursives sont de nous. Toutefois, il ne s’agit pas là d´idéaliser un monde paysan ayant aussi ses travers, comme celui de l’esprit de clocher bien utilisé par toutes les forces réactionnaires à travers toutes les époques historiques comme bien le montre l’auteur dans le 4ème épisode. N’empêche que nous trouvons là, dans la paysannerie, les éléments de base et les référents essentiels pour construire le communalisme, des leçons essentielles pour reprendre nos vies en main, rependre la terre à la Mégamachine : le Capitalisme, ce sujet automate ayant pour unique fonction la valorisation de la valeur. Cette Mégamachine, d’essence autoritaire et ne connaissant que la croissance sans frein, qui dans sa course folle n’a fait que provoquer des guerres à répétition tout en nous expulsant progressivement de notre humanité, nous impose toutes les autres machines et nous conduit à la destruction.
Quelques insuffisances notoires cependant dans ce bel ouvrage sont à signaler pour bien finir de comprendre le processus de la naissance du Capitalisme mais aussi se nourrir des expériences d´un passé pas si lointain.
Ainsi dans le troisième épisode, le virage loupé de l´auteur lorsqu´il évoque trop rapidement les enclosures en Angleterre dès le XVIème siècle. Une opportunité pour bien expliquer ce moment clé d’une rupture anthropologique et celui de l´éclosion d’un Capitalisme qu’accompagna comme son ombre la centralisation étatique; avec comme finalité la dépossession des paysans de leur communs et leur asservissement au profit des dépossesseurs.
Le quatrième épisode passe lui à coté de l´essentiel des enseignements révolutionnaires car même si l´auteur se réfère bien à des révoltes et à la résistance du prolétariat paysan, notamment les femmes en Italie, il ne fait aucune mention des moments et tentatives révolutionnaires de l’époque. Ainsi l´impasse sur les « mirs », ces communautés paysannes ancestrales en Russie que la dictature « soviétique » réduira à néant par la force et contre la volonté des masses paysannes. Elles seront cependant revendiquées et défendues avec acharnement entre 1919 et 1921 par la Makhnovchtchina pour qui elle était la « chair de la chair de la paysannerie ukrainienne ». Et puis ce silence sur « la plus grande révolution du XXème siècle » selon Guy Debord : la révolution en Espagne entre 1936 et 1939. Et pourtant l´on peut affirmer que c´est là que s´est réalisée avec le plus de clarté et de radicalité, toute la capacité créative collective et autogestionnaire de la paysannerie européenne en ce XXème siècle, dans les champs et au-delà. Car c´est bien dans la campagne aragonaise que la révolution a donné ses meilleurs fruits, une organisation politique et sociale de type communaliste décentralisée et confédérale basée sur la commune puis la collectivité, même si la révolution embrassait tous les secteurs de la société, usines incluses. Mais il s´agissait là d´un prolétariat jeune dont les veines étaient encore irriguées d´un sang paysan véhiculant les ancestrales traditions et organisations paysannes, celles des communs, revendiquées par les anarchistes comme base de toute organisation sociale.
A voir donc et à revoir avec ces petites touches critiques éclairant le paysage et nous donnant une idée du chemin à suivre.
Ci-dessous les liens vers les 4 épisodes de cet excellent documentaire :
- Le temps des paysans-épisode 1/4
- Le temps des paysans-épisode 2/4
- Le temps des paysans-épisode 3/4
- Le temps des paysans-épisode 4/4
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