- I – Le Pourquoi de l’histoire
- II – Les antécédents : 1870-1936
- III – Le substrat de fond
- IV – Imminence de guerre et de révolution
- V – Guerre et révolution en Espagne, 1936-1939
- VI – Mai 1937, la contre-révolution dans tous ses États
- VII – bilan – leçons : à apprendre ou à laisser
- VIII – Pour conclure :
- IX – Pour une stratégie communaliste Ici et Maintenant
I – Le Pourquoi de l’histoire
« Qui commande le passé, commande l’avenir ; qui commande le présent, commande le passé. »….« L’Histoire tout entière était un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que c’était nécessaire. En aucun cas, il n’aurait été possible de prouver l’existence d’un faux. » George Orwell : 1984
Ce n’est pas un hasard si les zapatistes définissent leur lutte « comme une rébellion pour l’histoire et contre l’oubli ». En effet dans ce monde néolibéral du « présent perpétuel »1 , « « Le temps de la production, le temps-marchandise, est une accumulation infinie d’intervalles équivalents.»2
Pour la rébellion contre l’oubli, il s’agit de remettre l’histoire en marche en commençant par la désincruster de l’économie politique, celle qui vit activement en nous, sous la forme d’un vecteur continu et imparable vers le « Progrès ». Il s’agit de nous libérer de l’emprise sur nos corps et nos esprits de cette économie politique, d’autant plus omniprésente qu’elle ne dit pas son nom. Après plus de 300 années de l’imposition violente de ses rapports sociaux et grâce à la colonisation croissante de nos esprits et à sa « novlangue », le Capitalisme aura réussi à nous persuader de leur « normalité ». Du coup, rien de plus normal pour nous, par exemple, que de vendre notre force de travail pour couvrir nos besoins existentiels ou que la production décide de nos besoins et non pas le contraire.
Certes, reprendre l’histoire de la genèse du Capitalisme, c’est en découvrir avec effroi, et pas uniquement en période de crise, la continuité de sa violence et son caractère destructif obligé, car structurel. Par ailleurs, c’est aussi et surtout récupérer notre mémoire collective et se remettre sur les traces de l’incessant combat mené contre lui. Sans quoi, ignorants et orphelins de toutes les tentatives émancipatrices, nous sommes condamnés à la fatalité d’un moment présent perpétuel et sans devenir. La fin du monde étant alors plus facile à imaginer que celle de la fin du Capitalisme.
Nous confronter de nouveau à ces questions n’a rien d’un hobby ou d’une démarche intellectuelle gratuite et académiquement sanctifiée par un doctorat. Il s’agit au contraire de l’ancrer dans une démarche d’engagement, comme étape préalable et nécessaire et de la fondre dans notre imaginaire, comme à chaque fois que l’on se dispose à créer du neuf. Apprendre du passé sans l’idolâtrer, c’est précisément, faisant preuve d’humilité, éviter de nous cantonner à des étiquetages et des idéologies. C’est aussi, tenter de ne pas répéter les faux–pas de nos aînés, apprendre de leurs réussites, reprendre confiance vis à vis de nous-mêmes, donner corps et intelligibilité à nos projets d’émancipation naissants et les doter de l’enthousiasme qui seul est en mesure de soulever des montagnes.
Ainsi l’histoire de l’Espagne des années trente nous fournit une bonne occasion pour nous unir à nos frères et sœurs zapatistes dans notre lutte commune pour l’histoire, contre l’oubli et pour un possible monde nouveau à créer. Les collectivisations, surtout dans la province de l’Aragon débarrassé de l’État et des grands propriétaires, nous donneront la mesure de notre intelligence collective dans une dynamique créative et émancipatrice. Le tout sans oublier, bien-entendu de replacer ces réalisations dans le contexte révolutionnaire de l’époque, avec la suprématie du mouvement anarchiste dans tout le pays.
Après un bref historique de ce mouvement en Espagne depuis ses débuts, avec la création de la section espagnole de l’AIT en 1870, nous suivrons le parcours agité de son évolution et sa consolidation. L’admirable réactivité populaire contre le coup d’État des militaires, le 18 Juillet 1936, débouchera sur la plus grande révolution du XXème siècle, selon Guy Debord. Après avoir parcouru sa genèse, ses réussites mais aussi ses erreurs, nous essayerons de voir à quel point, les collectivisations pendant cette période comprise entre 1936 et 1939, peuvent nous apporter, malgré un contexte tout à fait différent, nombre d’enseignements indispensables pour l’ici et maintenant.
II – Les antécédents : 1870-1936
1) Naissance et consolidation 1870-1920
Le mouvement libertaire s’enracine en Espagne après la Première Internationale, née en 1864, notamment à travers le courant anarcho-syndicaliste, qui devient hégémonique au sein du mouvement ouvrier. Pendant la dictature de Franco, le mouvement ouvrier était presque étouffé et ne s’exprimait que clandestinement. Légalisé après la « Transition » de 1978, ce mouvement est principalement représenté aujourd’hui par deux organisations : la Confédéración Nacional del Trabajo (CNT) et la Confédéración Genaral del Trabajo (CGT).
En 1870, la section madrilène de l’Internationale compte 200 membres et ne tarde pas à s’implanter à Barcelone où le congrès ouvrier de 1870, rassemble les délégués de quelque 150 organisations ouvrières structurant la Fédération Régionale Espagnole, avec la présence de milliers d’observateurs. La FRE devient rapidement l’une des plus grandes sections de l’Association Internationale des Travailleurs. En 1872, elle compte 11 500 membres, et en 1873, plus de 40 000. Après l’écrasement du canton de Carthagène, des soulèvements d’Alcoy et de Sanlúcar de Barrameda, le 11 janvier 1874, l’Internationale est déclarée illégale.
En 1881, le gouvernement dirigé par Práxedes Mateo Sagasta adopte la loi sur les associations qui légalise l’activité des organisations de travailleurs. En septembre 1881, le premier congrès est organisé pour mettre en place une nouvelle fédération ouvrière. Elle se tient nouveau au Teatro del Circo de Barcelone, là même où la FRE-AIT avait été fondée en 1870. En sort une nouvelle organisation fondée sur les bases de la FRE, la Federación de Trabajadores de la Región Española (FTRE). La FTRE, dans sa nouvelle phase, se développe très rapidement et en 1882, elle tient son 2e congrès (à Séville) avec 663 sections et un total de 57 934 membres.
Dans les premiers mois de 1883, l’État mène une répression extrêmement dure partant de trois crimes commis à la fin de 1882. En conséquence, 15 paysans sont condamnés à mort, dont sept exécutés à Jerez de la Frontera, le 14 juin 1884. En 1879 se crée le parti socialiste, le PSOE qui, à son tour, fonde en 1888 l’Union générale des travailleurs (UGT).Les syndicats, dans les sociétés ouvrières, incorporent de nombreuses écoles pour travailleurs adultes, dans les coopératives et dans les athénées, comme nécessité d’apporter la culture à tout le peuple. Les ouvriers mettaient leurs enfants dans les écoles modernes ou rationalistes et suivaient eux-mêmes des cours le soir à l’université populaire.
Francisco Ferrer y Guardia, lui, fonde l’école moderne en 1901. Son objectif essentiel : éduquer la classe ouvrière d’une manière rationaliste, laïque et non coercitive. La première école mixte et laïque de Barcelone fut très mal accueillie par le clergé et ses dévots. En 1906, ils trouvent un alibi de choix pour la fermer, le roi Alfonso XIII ayant subi un attentat de la part de par son bibliothécaire, Mateo Morral. Elle rouvrira plus tard pour être fermée de nouveau pendant la Semaine tragique en 1909, à l’issue de laquelle les autorités fusillent Ferrer sans qu’il n’aie pris part aux évènements.
Malgré une répression sanglante, la graine était semée et pour les anarchistes une nouvelle organisation syndicale nationale était nécessaire pour renforcer le mouvement ouvrier, avec cette nécessité d’une organisation qui se coordonne également à l’échelle nationale3. Les échelles passant du local au régional et au niveau national. Ainsi, la Confederación Nacional del Trabajo (CNT), est fondée en octobre 1910 lors d’un congrès de la fédération catalane, Solidaridad Obrera. Cette organisation confédérale se structure en fonction des besoins contre toute bureaucratie. Au départ sans permanent à sa création, elle en comptera très peu même à son apogée lorsqu’elle dépassera les 1500000 affiliés. Sa méthode d’action directe se nourrit d’une pratique populaire déjà présente dans la vie des quartiers, tout en la renforçant. En fait elle s’y glisse comme un poisson dans l’eau et va y créer des réseaux d’information, des comités de quartiers. Ce sont ces comités, qui dans les années trente vont intensifier les grèves, non seulement dans les usines, mais aussi dans les quartiers. Vont suivre des boycotts comme celui du paiement des loyers, des manifestations avec, souvent des barricades, des expropriations collectives,, etc.
Une résolution prise lors d’un de ses congrès affirme le but de la CNT : « hâter l’émancipation économique de la classe ouvrière par l’expropriation révolutionnaire de la bourgeoisie… ». La CNT commence petit, avec environ 30000 membres, (l’UGT en comptant déjà 46000). Pendant des années, les répressions, les grèves et les insurrections se succèdent à un rythme accéléré et la grève générale révolutionnaire de 1917 est durement réprimée par le gouvernement faisant quelques 70 morts. Cependant, le 1er Congrès de la Confédération Régionale de Catalogne qui se célèbre à Barcelone, dans le quartier de Sants entre le 28 Juin et le 1 Juillet de 1918, accuse une croissance spectaculaire. En Octobre 1918, la Confédération compte 81000 membres (67000 dans la province de Barcelone), et en Novembre quelques 114000.
La grande victoire obtenue avec la grande grève des premiers mois de 1919 contre l’entreprise anglo-canadienne Riegos y Fuerzas del Ebro, l’État espagnol fut le premier en Europe à légiférer sur la journée de huit heures. Ainsi, « la CNT devint un des acteurs principaux dans le monde industriel et une référence pour les ouvriers » Mais le syndicat aspire à davantage. Le radicalisme anarchiste est en plein essor et de nombreux militants parlent d’aller vers la révolution. La CNT, en ces premiers mois de 1920, compte plus d’un million de membres et ses structures internes ont été renforcées. L’UGT a également connu une croissance considérable au cours de cette période, passant de 160 000 membres en 1919 à 240 000 en 1921.
Jusqu’en 1920, la CNT ayant des préoccupations toutes autres, avait fait fi de la force croissante des pistoleros du patronat, regroupés dans leur organisation nommée « syndicats libres». Dès lors, les groupes anarchistes de la CNT, réagissent et montent des « groupes d’action » afin de riposter coup sur coup. Pendant plusieurs années, les fusillades sont devenues monnaie courante à Barcelone. Cette spirale de violence a même conduit à l’assassinat du Premier ministre Eduardo Dato, pour avoir signé la loi sur les évasions4. Toutefois, les anarchistes subissent des pertes substantielles, comme celles de Salvador Seguí, de Francesc Layret (leur avocat) et la tentative d’assassinat d’Angel Pestaña.
La politique de Primo de Rivera, 1923-1930, vis à vis des syndicats, pendant sa dictature, consiste à différencier la CNT et l’UGT. Il s’agit d’une part de séduire les socialistes, et de l’autre à criminaliser la CNT, soumise à une répression implacable. Cette dernière ne pouvant agir publiquement, va se créer de la part de la tendance plus radicale de l’anarchisme, la Fédération Anarchiste Ibérique (FAI), en Juillet de 1927 à Valencia. Organisation secrète au départ, elle va contrer le réformisme au sein de la CNT, éviter toute collaboration avec d’autres tendances politiques et appuyer les initiatives constructives d’esprit libertaire et anticapitaliste comme les coopératives, les colonies agricoles, écoles, etc.
2) Le cycle insurrectionnel, 1931-1933
Sous la toute récente deuxième (ou seconde) République, ayant succédé à la monarchie et sa dictature, la manifestation du 1er mai 1931à Barcelone se termine par une fusillade avec la Guardia Civil. La CNT demande en vain au gouvernement, la dissolution de ce corps répressif. Et c’est la grève de Telefónica à Séville en 1931 (avec 30 morts) qui finit par rompre les relations entre la CNT et les Républicains. Dès lors, la guerre est ouverte entre le gouvernement et les anarchistes. Les tentatives d’instaurer le communisme libertaire se multiplient sans qu’il y ait une véritable coordination au niveau national. Ainsi, par exemple, l’insurrection anarchiste dans l’Alto Llobregat (Catalogne) en janvier 1932 où les mineurs prennent le contrôle de la ville de Fígols et proclament le « communisme libertaire » pendant une semaine. La grève s’étend à d’autres villes comme Berga, Gironella, Sallent, Balsareny, Navarcles et Súria, oú les activités minières sont paralysées et les magasins fermés. La répression est féroce. Le 21 janvier, le gouvernement envoie l’armée prendre ces villes minières. Le 23, seule Figols restait aux mains des insurgés, mais le 24, la ville tombe, les ouvriers sont arrêtés et renvoyés des mines. Sur le compte de la République, également, la répression du village de Casas Viejas, de la province de Cádiz, ayant déclaré le communisme libertaire en 1933 et qui se solde avec le massacre de 5 paysans.
3) Polarisation au sein de la CNT
Tandis que la FAI gagne des sympathies, au sein de la CNT, en 1931, pour un groupe d’anarcho-syndicalistes réformistes (Treintistas), la révolution est impossible. Ils signent un manifeste appelant à la collaboration avec les autres syndicats et les forces gauche en général et certains iront jusqu’à créer le Parti Syndicaliste prônant le parlementarisme. Cette tendance apportera 2 ministres au gouvernement républicain en 1936. Dans la FAI qui aura aussi des ministres, le clivage était aussi flagrant, entre partisans d’un « anarchisme communaliste », ayant pour base la commune et les syndicalistes, appelant à un « anarchisme constructif », compatible avec la croissance industrielle.
4) Révolution aux Asturies, 1934
La révolte dans les zones minières des Asturies en 1934 est signal avant-coureur de la révolution sociale de 1936 (et de la guerre civile). Nommés révolution d’Octobre, ces évènements sont le résultat de l’accumulation, pendant plusieurs années, de forces du prolétariat minier et industriel asturien au travers de conflits locaux continus. En 1934, l’impulsion révolutionnaire dans les Asturies était si grande qu’elle entraîna toutes les organisations ouvrières, jusqu’alors en conflit ou divisées, et les força à signer l’Alianza Obrera. (Alliance ouvrière)
L’écrasement de la révolte est mené par le général Francisco Franco, qui dirige les opérations militaires depuis Madrid. Après une semaine de combat, il parvient à vaincre la résistance des mineurs. Les insurgés capturés subissent de graves tortures, des viols, des mutilations et des exécutions en masse. Le nombre de morts est estimé à 2 000. La formidable résistance des travailleurs au coup d’État militaire de 1936 s’inspirera beaucoup de l’exemple des mineurs asturiens qui montrèrent qu’il était possible de résister et pourquoi pas cette fois-ci, de gagner.
III – Le substrat de fond
L’anarcho-syndicalisme était bien le catalyseur de cette lutte de classe acharnée du jeune prolétariat espagnol contre le clergé traditionnel et un capitalisme en plein essor, à la recherche d’une main d’œuvre bon marché et qui entassait les paysans dans les villes. Mais l’on ne peut comprendre toute la force de l’anarchisme espagnol sans tenir compte de cet autre élément qui le porte, de ce substrat de fond, de ce maillage d’une société parallèle faite de liens forts préfigurant un monde nouveau et en tension avec la société bourgeoise. La CNT ne se cantonne pas à l’usine et va créer une symbiose avec le bouillonnement révolutionnaire5 des quartiers et les migrants du Sud, là où les familles voisines cherchent des moyens de subsistance, souvent sans avoir à vendre leur force de travail et en relation étroite avec les paysans alentours. Dans les domaines du travail, du logement et de l’alimentation, d’autres se regroupent en coopératives, pour pallier à leurs besoins immédiats. Ils sont également lieux d’apprentissage et germes de structures préfigurant une société autogérée.
A partir des années 30 et surtout en 1936, les féministes, regroupées au sein de Mujeres (femmes) libres prennent une ampleur considérable jusqu’à dépasser les 200 groupes et regrouper 25 000 membres en 1936.
Mais pour ces luttes contre la domination, contre l’exploitation dans les champs, les usines, les ateliers, les quartiers, relayées par les alternatives autogérées, la culture libertaire dans tous les aspects de la vie joue un rôle essentiel : celui d’une complicité collective qui fait sens. Sont à souligner trois facettes culturelles principales mises en œuvre, par leur impact dans cette culture libertaire.
1) Les athénées ouvriers
Tout au long des quatre premières décennies du XXe siècle, les athénées libertaires et populaires se multiplient, comme autant d’universités populaires pour la classe ouvrière de tous âges, où elle acquérait l’éducation culturelle qui lui avait été refusée en tant que telle. L’impulsion rationaliste de libération par la culture, leur a donné suffisamment de force et de légitimité aux yeux de la classe ouvrière, qui a traité les athénées et les bibliothèques populaires avec révérence. Ils servaient également de lieu de rencontre pour les habitants du quartier, où les gens discutaient, apprenaient à se connaître, créaient des liens forts et exposaient leurs problèmes les uns aux autres. C’est aussi la première fois que de nombreuses femmes, vendant leur force de travail, trouvent un endroit où elles sont sur un pied d’égalité avec les hommes, où elles peuvent apprendre, et où elles entrent en contact avec l’anarchisme. Le succès des athénées libertaires a été manifeste et on peut dire qu’ils ont remplacé, bien à leur avantage, l’État et les ordres religieux dans le rôle éducatif de leur époque.
Parmi les activités des athénées populaires, la publication des bulletins d’information, l’édition de livres et de brochures, des excursions à la campagne, des conférences et des causeries, du théâtre, des récitals de poésie, des débats, des cours d’espéranto et des bibliothèques en libre accès; en général, ces activités étaient autofinancées par les utilisateurs. Ils attachaient une grande importance à l’hygiène comme moyen de prévention des maladies, à la connaissance de la contraception et de la sexualité.
2) Les écoles rationalistes
Souvent à l’initiative de ces athénées et grâce l’influence anarcho-syndicaliste, se mettent en place des écoles rationalistes mixtes. Ces écoles sont crées pour les enfants d’ouvriers avec les méthodes pédagogiques les plus avancées basées sur les propositions de Francisco Ferrer y Guardia. Le but étant que les enfants des travailleurs, acquièrent le maximum de connaissances, théoriques, pratiques et artistiques sans esprit dogmatique ou idéologique. Il s’agissait surtout de stimuler, l’empathie, l’esthétique et l’envie d’apprendre afin que chacune et chacun se réalise dans tous les aspects de la vie personnelle et sociale.
3) Le naturisme libertaire
Dénonçant les méfaits de la vie moderne dans les villes, la pollution, les conditions de travail et de logement des familles ouvrières, la relation entre l’anarchisme et le naturisme, prédécesseur de l’écologie, de l’agriculture biologique et des soins naturels, a toujours été très présente en Espagne. Ce lien est très important à la fin des années 1920, pendant la dictature de Primo de Rivera. Tout d’abord, la revue Helios (1916-1939) joue un rôle catalyseur important, puis il se propage grâce au groupe anarchiste « Sol y Vida », qui effectue de nombreuses excursions à la campagne et à la mer à des fins naturistes.
Dans l’ensemble de l’État espagnol, grâce à cette contre-culture, les classes populaires s’imprégnaient d’une conscience historiquement constituée et un sens élevé de la dignité. Seule cette conscience aigüe pouvait remettre en cause toutes les dominations, ce qui débouchera sur la création du mouvement féministe d’inspiration anarchiste, Mujeres Libres en Avril de 1936. Ainsi l’anarchisme devient contagieux par l’éthique qu’il déploie dans la vie de tous les jours et par le sens qu’il donne à son combat pour un projet commun d’émancipation : le communisme libertaire, un monde libre, fraternel et beau, enfin débarrassé de la domination, du capitalisme et de sa pulsion de mort.
IV – Imminence de guerre et de révolution
1) Le quatrième congrès national de la CNT en mai 1936
Il se tient à Saragosse, avec une tonalité ouvertement révolutionnaire, avertissant de l’imminence d’un putsch militaire et appelle à s’organiser de suite contre le déclenchement d’un possible conflit mondial. Aussi, la CNT se réunifie et réintroduit en son sein les représentants de sa fraction réformiste, les « Trentistes » tout en envisageant des pactes nationaux avec l’UGT. L’échec de plusieurs tentatives insurrectionnelles impulsées depuis 1933 par les « faïstes » y était pour quelque chose.
Elle considère comme évidente la «faillite du parlementarisme » et réaffirme ses « principes apolitiques ». En reprenant le concept fédéral du communisme libertaire, leur programme révolutionnaire se résume en la socialisation de la propriété privée des moyens de production et la répartition du produit social selon la formule : “De chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins.” » Le texte de la motion essaye de concilier une opposition interne relevant d’un clivage quasiment consubstantiel apparu au sein de l’anarchisme espagnol et qui recouvre aussi implicitement deux façons de vaincre le capitalisme : l’une depuis le territoire et la vie quotidienne, le quartier et la commune rurale (communalisme) et l’autre depuis le lieu de travail (syndicalisme).
2) Le Front populaire
À l’approche des élections de février 1936 la CNT, contrairement à son habitude, ne fait pas campagne pour l’abstention. La justification tient à ce qu’il était nécessaire de se débarrasser d’un gouvernement de droite qui empêchait les syndicats d’agir, et que tous les prisonniers politiques (environ 30 000) puissent être libérés de prison.
Aux élections municipales du 16 février 1936, les républicains et les socialistes se présentent en coalition.
V – Guerre et révolution en Espagne, 1936-1939
La révolte des masses espagnoles ne fut pas un combat qu’elles menèrent pour améliorer leurs conditions de vie dans le cadre d’un système capitaliste admiré, mais un combat contre les premières manifestations d’un capitalisme honni. (…) Quelles que soient les concessions faites dans les dernières décennies aux nécessités du progrès industriel, le travailleur espagnol ne s’est jamais résigné comme ses collègues anglais et allemands à n’être qu’un simple employé de l’industrie. (…) Telle est pour moi la clef de la position privilégiée de l’anarchisme en Espagne. Franz Borkenau The Spanish Cockpit 1937
1) L’État et le peuple face au coup d’État
La CNT, grâce à des informations obtenues par son réseau d’espionnage, avait averti le gouvernement, des mois auparavant, de la préparation au Maroc, d’un soulèvement militaire. Malgré cela, ce gouvernement, dirigé para Casares Quiroja, refuse d’armer les travailleurs par peur d’une révolution. Comptant avec l’appui de l’Église, le soulèvement se produit le 18 Juillet dans presque toute l’Espagne. Le gouvernement républicain ne réagit que très timidement et en réaction, provoque une situation révolutionnaire. Longuement et patiemment préparés et bien organisés au sein de la CNT et dans les groupes d’action, la sédition militaire est étouffée en un temps record sur une grande partie du territoire espagnol. Ainsi, le 19 Juillet, pour la première fois dans l’histoire, le peuple presque sans armes réussit le tour de force de vaincre l’armée presque à lui seul et sans armes, notamment en Catalogne6. Surpris par une telle résistance populaire, les militaires imposent leur dictature dans les territoires conquis et poursuivent une guerre contre la zone républicaine qui va durer près de trois ans.
2) Courants contraires face aux factieux
La guerre doit-elle forcément dévorer la révolution ? Par la résistance populaire qui lui fut opposée, ce putsch militaire commandité par le Capital, la bourgeoisie et le clergé, dériva en guerre civile. Cette guerre d’extermination était dirigée, non pas contre la démocratie bourgeoise, mais visait d’emblée à en finir avec un prolétariat, qui par sa capacité révolutionnaire inédite dans le monde, mettait en péril leurs intérêts et risquait de déborder les limites géographiques de l’Espagne. D’où le consensus international, mis à part le Mexique, de ne porter aucun secours à la République en péril, si ce n’est, de la part de l’URSS, pour s’en emparer.
A – Élan révolutionnaire et la créativité populaire
Dans la zone républicaine, aucune consigne ne fut nécessaire sitôt les militaires vaincus dans leur première tentative de prise de pouvoir. Le lendemain, des colonnes de miliciens armés partent pour le front pour combattre les militaires. Dès le 19 Juillet, une vague populaire s’empare des casernes et des églises ; ces dernières étant vidées, parfois par le feu, et recyclées en dépôts d’alimentation ou en écoles. Pour eux-mêmes et par eux-mêmes, les ouvriers prirent en main les usines, les mines, les moyens de transport, les propriétés agricoles, les services publics, les magasins, sans schéma préconçu et uniformisé7. Il s’agissait là en fait de l’accouchement d’une culture populaire, d’un apprentissage autogestionnaire intergénérationnel intériorisé pendant soixante années de luttes et d’alternatives sociales. De suite, de l’Andalousie à la Catalogne, en passant par Levant, la Castille, et d’Estrémadure, les collectifs autogérés revoient entièrement les conditions de travail, comme par exemple, la retraite accordée aux hommes et femmes, de plus de 60 ans. Souvent le lieu de travail intègre des activités inédites en ces lieux comme l’installation d’écoles, de garderies ou d’athénées (véritables écoles d’éducation populaire). Le ravitaillement est assuré par les comités révolutionnaires, dans les villes, villages et campagnes ainsi que pour les combattants montés au front. L’activité et les initiatives populaires sont débordantes et l’on assure l’aide aux réfugiés fuyant la zone factieuse, et celle d’une partie de la zone républicaine elle-même, suite par exemple, aux pertes de Málaga et peu à peu celles de la côte cantabrique.
L’éthique d’une nouvelle société autogérée se met en place. Malgré le départ au front de milliers d’ouvriers les plus engagés, la confiance et l’enthousiasme régnants décuplent tout autant la production comme les capacités créatrices8. L’exemple de trois régions différentes va nous permettre d’entrevoir cette capacité populaire pour, à la fois, défendre les acquis de la victoire contre les putschistes et inventer un monde nouveau en évolution tenant compte des caractéristiques territoriales, sociologiques et politiques du lieu.
a) En Aragon
L’écroulement des Institutions de l’État, la fuite des riches propriétaires dans une région à prédominance agricole, la protection des colonnes de combattants anarchistes, placées tout le long de la ligne de front, sont autant de facteurs qui vont favoriser la première mise en œuvre, au monde, du projet communiste libertaire à grande échelle.
Quelques jours, seulement après la victoire populaire, des milliers de villages se constituent en communes libres et fédérées entre elles. Ainsi, comme phase préliminaire d’un communalisme pensé depuis plus de 50 ans et tant attendu, les communes, syndicats et comités contrôlent tout autant les moyens de production comme la redistribution égalitaire des récoltes, en fonction des besoins. Dans cet élan, le syndicat perd son rôle central et les limites municipales sont débordées par la création spontanée de la part des paysans, des colectividades9 (collectivités rurales). En les fédérant, le conseil d’Aragon et la fédération des collectivités vont assurer leur coordination et l’entraide entre les plus naturellement favorisées et celles qui le sont moins. Dans certaines l’argent est maintenu et dans d’autres il est supprimé et remplacé par des bons qui permettent aux membres de pourvoir à leurs nécessités. La production répond d’abord à ces dernières puis s’échangent ou se vendent pour acquérir les besoins manquants mais sert aussi à pourvoir aux nécessités des milices du front.
b) Dans la région du Levant
Dès le début la collectivisation fut plus difficile et ne put s’effectuer à la même vitesse qu’en Aragon. Comme dans les autres régions d’Espagne, les autorités républicaines détiennent le pouvoir avec Gardes d’assaut, Carabiniers et troupes militaires. Autre difficulté, la taille des villages, qui s’assimile plus à de petites villes, rend difficile l’adhésion unanime de la population ; les clivages politiques et sociaux y sont plus marqués et les différentes tendances mieux organisées. Par contre leur proximité facilite les pratiques de solidarité entre paysans déjà structurées par la fédération régionale de la CNT depuis sa création et même auparavant. C’est ce cadre qui servira rapidement de base à la constitution de la fédération parallèle des collectivités agricoles, englobant cinq provinces : Castellón, Valence, Alicante, Murcie et Albacete. L’importance de l’agriculture dans les quatre premières provinces – toutes méditerranéennes et parmi les plus riches d’Espagne – et celle d’une population très dense – près de 3 300 000 habitants – vont imprimer une grande portée aux réalisations sociales qui vont suivre.
Grâce à ses richesses naturelles et l’esprit créatif des affiliés, c’est dans la province de Valence que les socialisations ont pris dès le départ un rythme plus décisif et accéléré. Dans 43% des localités de la région la plus riche d’Espagne, 500 collectivités agricoles voient le jour en l’espace de 20 mois. Le travail intercommunal favorise la création de commissions au sein des communautés pour le riz, les oranges et l’horticulture et coordonnées au sein de la fédération.. Un centre a été créé pour lutter contre les maladies des plantes, pour le sulfatage, pour la taille des arbres, pour travailler dans les champs et les vergers. Un autre est consacré à la réparation et à la construction de routes. Tout cela a facilité la synchronisation des efforts et leur indispensable rationalisation sur la base d’un plan général. Les trois quarts de la récolte de riz et la moitié de la production d’oranges – près de quatre millions de quintaux – était entre les mains de la Fédération paysanne du Levant, et après la satisfaction des besoins locaux, 70 % de la récolte totale est transportée et vendue par son organisation commerciale, grâce à ses nombreux entrepôts, ses camions, ses bateaux et sa section d’exportation qui, au début de 1938, avait créé des succursales de vente en France (à Marseille, Perpignan, Bordeaux, Sète, Cherbourg et Paris). Les collectivités envoyaient à leurs fédérations le surplus de leurs produits ; ceux-ci étaient comptés, classés, stockés, et les chiffres correspondants étaient envoyés aux différentes sections du Comité régional de Valence, de sorte que la fédération savait toujours exactement sur quelle réserve elle pouvait compter pour le troc, les exportations et les distributions.
Les collectivités du Levant, comme celles d’Aragon, de Castille, d’Andalousie et d’Estrémadure ont donné le coup de grâce à l’analphabétisme, qui au départ se situe à un niveau de 70 %. Ainsi la fédération régionale du Levant, a créé une université au milieu des orangeraies et champs et la met à la disposition de la Fédération nationale des paysans d’Espagne pour enseigner outre la culture générale, l’agriculture et l’élevage.
D’autre part, l’esprit de solidarité des communautés de Valence est aussi grand que celui d’Aragon et accueillent un grand nombre de réfugiés, des femmes et des enfants de Castille. Pour exemple, les collectivités fournissent gratuitement Madrid, une partie du front du Centre et la partie sud du front de l’Aragon. Six collectivités de la région de Gandía, livrent 187 camions de nourriture au cours des six premiers mois de la guerre et sept camions pour Almeria, à un centre de réfugiés sous-alimentés.
c) En Catalogne
Tout comme en Aragon, l’État est également anéanti en Catalogne où la plupart des grands patrons ont fui. Le pouvoir repris à la bourgeoisie et à l’État déclenche alors, un bouleversement révolutionnaire festif envahissant les rues, modifiant la physionomie même de Barcelone. Le Capitalisme avait été balayé10. Politiquement, l’État écroulé, Plus que de dualité de pouvoir, ce qu’il y avait, c’était une atomisation du pouvoir11. Ainsi et de fait, malgré le rejet ancestral du terme « politique » se constitue l’embryon de nouvelles institutions politiques populaires, s’appuyant sur des assemblées décisionnelles et des mandatés, par et pour le peuple. Héritant des expériences passées, se développe tout un réseau de comités nouveaux, plus riche et plus complexe encore que par le passé. Ces comités coordonnés pillent commerces et édifices dans les quartiers bourgeois et y relogent le peuple des bidonvilles. Bien armés, ils détruisent ou réutilisent églises et prisons, neutralisent le marché libre et réorganisent la vie collective en partant des lieux de vie. Ainsi ils en assurent l’approvisionnement et commencent à décider des productions nécessaires en fonction des besoins réels et non du marché libre aboli. Illustrative à cet effet, la création de la collectivité agricole de la ville de Barcelone et ses alentours qui va assurer, pendant près de trois ans, l’approvisionnement direct de 90% des besoins de la ville en légumes. Dès le début des années 1930, les travailleurs agricoles de la CNT dans la ville de Barcelone se sont regroupés dans le Sindicato Único de Campesinos de Barcelona. De ce même syndicat d’agriculteurs va naître la Colectividad Agrícola de Barcelona y su radio dès les premiers jours de la révolution. Les organisations des différents quartiers de Barcelone désignent un comité central, conseillé par des commissions de quartier composées de travailleurs et d’anciens employeurs. Chaque quartier, divisé en zones et chaque zone en groupes, sont formées d’environ vingt-cinq travailleurs et travailleuses, et un délégué technique. Immédiatement, ils entreprennent de cultiver d’abord, les champs et les vergers qu’ils travaillaient, puis les terres abandonnées, celles des couvents et de gros propriétaires terriens réquisitionnées de la région. La Collectivité de Barcelone, intégrée dans la section paysanne du Syndicat des Industries Agricoles, Pêche et Alimentation de la CNT se charge de la distribution et de la vente directe de ses produits dans les 105 stands de vente au détail qu’elle possède sur les seize marchés de détail couverts et les deux marchés de gros de la ville. Grâce à l’élimination des intermédiaires permettant d’obtenir de meilleurs prix, 15% des légumes sont distribués aux hôpitaux et à l’intendance militaire, 30% à la population de la Collectivité et les 55% restants aux marchés de la ville12.
B – Contre l’élan révolutionnaire, l’auto-répression
C’est pourtant en Catalogne, lieu fort et emblématique de la révolution, dans les domaines essentiels du politique, du social et de l’économie, que ce pouvoir embryonnaire, récemment et spontanément constitué, va se trouver paradoxalement contré par la CNT elle-même. Juste après sa victoire armée, cette organisation libertaire la plus puissante au monde, ayant acquis au cours de ces derniers jours un si grand potentiel révolutionnaire et qui, hier encore, prônait un antiétatisme intransigeant, finit par renoncer à ses propres exigences. Lors d’un plénum, le 21 Juillet 1936, dans l’urgence et sans suivre les procédures organiques horizontales, quelques dirigeants bien en vue de la CNT, feront en sorte que cette organisation renonce officiellement au communisme libertaire au nom d’un front antifasciste des forces de « gauche » et pour ne pas effrayer les puissances « démocratiques » susceptibles de venir au secours de la République. Alors que Companys, président de la Generalitat13 se dit prêt à capituler devant cette débordante force révolutionnaire, la CNT fait renaître l’État catalan de ses cendres en ralliant le Comité Central des Milices Antifascistes de Catalogne14. Ce CMMA, servira de tampon et de médiateur entre la myriade de comités révolutionnaires et l’appareil d’État capitaliste effondré et servira ainsi de tremplin pour la restauration de ce dernier. Le CMMA est dissout le 1er octobre 1936 et la CNT, avec trois ministres, fait son entrée au gouvernement de la Generalitat, nouvellement baptisé Conseil de la Generalitat, en raison du rejet du mot Gouvernement dans la confédération.
La Catalogne, phare de la révolution, a ainsi ouvert la voie à la participation de la CNT au niveau de l’État central, comme le réclamait son secrétaire général, Horacio Prieto. Prieto, favorable à ce que la CNT soit représentée dans le gouvernement de Largo Caballero, entreprend de convaincre le reste du syndicat, et ce, au nom-même de la défense des acquis de la révolution. Le 6 novembre, quatre ministres de la CNT ont pris leurs fonctions au sein du gouvernement central.
Tout au long de cette guerre contre les putschistes et ce dès le 21 Juillet, les ministres de la CNT au gouvernement catalan et seulement en Novembre 1936, à Madrid joueront le rôle qu’attendait d’eux, la bourgeoisie et qu’eux seuls pouvaient assumer. Il s’agissait d’abord d’enrayer la dynamique de déploiement et accomplissement du communisme libertaire et ensuite, de vaincre la résistance des ouvriers par un retour déguisé à la normalité capitaliste ou, dit autrement, de s’assurer de la fin des expropriations spontanées commencées en juillet 1936 en forçant leur canalisation et domestication.
Cette double opération se traduisant par un graduel processus d’intégration dans la machinerie gouvernementale de toutes les institutions révolutionnaires15 , à coup de décrets gouvernementaux successifs. Pour exemple, le 24 octobre 1936, la Generalitat publie deux décrets qui, officiellement du moins, confirment le pouvoir de l’État sur la révolution. Le premier a dissous les comités révolutionnaires dominés par les affiliés de la CNT, les remplaçant par des conseils municipaux, dont les membres étaient nommés par tous les partis du Front populaire et non élus par démocratie directe. Le second décret a « légalisé » les collectivisations révolutionnaires en Catalogne, du moins, ce qui, dans la pratique, a renforcé le pouvoir de la Generalitat sur l’économie. Participant à la détérioration de la situation, les dirigeants de la CNT, vont aller jusqu’à vanter les mérites du Décret de Collectivisation. Un autre Décret ordonne qu’à partir du 1er novembre, la milice ouvrière de volontaires révolutionnaires se transforme en une armée bourgeoise de style classique, soumise au code monarchiste de justice militaire, dirigée par la Generalitat.
Même si des collectivités tentent de s’organiser en se reliant directement les unes aux autres (urbaines et rurales), elles ne peuvent rompre le carcan imposé par les syndicats, encadrés dans et par la loi. Toute entreprise collectivisée rebelle ou frondeuse est désormais désespérément assujettie dès que le gouvernement ferme le robinet du financement ou des devises étrangères, puisqu’elle ne peut alors, ni payer les salaires ni acheter les matières premières. Dès lors, le pouvoir politique tout comme celui de la production ou de la défense, n’émanent ni n’obéissent plus directement aux besoins réels des habitants des quartiers, exprimés au travers de leurs comités qui se sont vus désarmés. Le syndicat, comme outil de lutte et d’émancipation, se retourne contre la révolution en devenant appareil de contrôle des travailleurs, tout comme de l’économie, au service de l’État et de la bourgeoisie. C’est maintenant le marché libre, voire la concurrence entre les entreprises autogérées et contrôlées par les syndicats eux-mêmes, qui vont dicter la production16. Mais cette distorsion de la révolution, la perte de pouvoir dans leurs usines va miner progressivement le moral des ouvriers. Jusque dans le secteur de l’armement oú la production va décroître. Et les combattants sur le front seront à leur tour touchés par cette vague de démoralisation, à la fois par le manque d’armes et munitions mais aussi par la réduction des perspectives révolutionnaires.
Face à cette démoralisation, se traduisant parfois en résistances passives voire des désertions, la CNT officielle et l’UGT se lancent dans des campagnes de moralisation, d’exhortation du travail et du devoir. La guerre est désormais en mesure de dévorer la révolution.
VI – Mai 1937, la contre-révolution dans tous ses États
1) Les révolutionnaires pris au piège
Ce grignotage patient de la révolution, cette offensive législative qui a transformé les collectivisations en capitalisme syndical planifié par la Generalitat, ne va pas de soi. Ainsi, au sein de la CNT, le militantisme radical défie le militantisme collaborationniste pour gagner le soutien de la majorité des membres des syndicats. Mais il reste presque toujours minoritaire dans les assemblées d’usine et ceci pour deux raisons. L’une d’elle étant le flot d’affiliations opportunistes après le 19 juillet, affiliations même devenues obligatoires par la suite,. D’autre part du fait de l’enrôlement des militants les plus engagés et conscients sur le front, provoque une saignée dans le militantisme le plus décidé, capable et convaincu. Dans ce contexte, le PSUC17 , aux ordres de Staline, insignifiant au départ, va peu à peu, tirer son épingle du jeu et imposer son contrôle sur l’appareil de l’État. Pour cela il va s’appuyer sur la petite bourgeoisie qu’il favorisera dès le départ. Il s’est aussi considérablement développé parmi les « rabassaires », métayers et petits propriétaires terriens locaux, pour atteindre à la fin de l’année 1937, l’adhésion de quelque 10 000 paysans catalans, soit au total un quart des membres du parti. Pour coordonner les efforts contre-révolutionnaires de ses partisans, le parti forme également un groupe de pression conservateur, de 18 000 commerçants et petits négociants, réclamant le retour du marché libre. La base sociale du PSUC en faisait un parti communiste assez particulier, n’ayant pas, ou presque, d’ouvriers en son sein, ces derniers étant majoritairement affiliés à la CNT ou à l’UGT. Les classes moyennes et autres couches intermédiaires étaient donc la seule option pour la croissance du parti communiste catalan. Mais aussi et de fait, le PSUC va se voir renforcés avec l’aide inavouée et inavouable des ministres anarchistes. En plus d’appuyer les successifs décrets gouvernementaux, par manque de vision stratégique, les ministres anarchistes croisent les bras devant l’expulsion du POUM18 , leur seul allié potentiel, en décembre 1936. Et ils l’ont sans doute acceptée en échange d’une représentation accrue de la CNT-FAI au sein du gouvernement. Sans doute satisfaits de leur pouvoir accru au sein de cet organe, les ministres anarchistes ont ignoré le fait qu’avec le remaniement ultérieur de la Generalitat, le PSUC possède désormais le contrôle de la distribution alimentaire et de l’ordre public. En janvier 1937, la politique de distribution du pain est clairement polarisée. Avec raison, le POUM, impute les pénuries alimentaires et les files d’attente pour le pain à la politique de marché libre du gouvernement favorisant la spéculation. En réponse, le PSUC va mettre la question de la faim sur le dos de la révolution, attribuant les pénuries alimentaires à la multiplicité des comités révolutionnaires et aux activités des groupes ouvriers armés et appellent à un contrôle accru du gouvernement. En février, les staliniens poursuivent leur campagne pour une « autorité unique », en organisant une manifestation policière contre les patrouilles de contrôle, en réprimant ses partisans et en limitant l’armement sur le front19. Au cours des premiers mois de 1937, la tension monte en flèche et une série d’affrontements violents ont lieu entre les forces de l’État réorganisé et les pouvoirs révolutionnaires dispersés. Dans toute l’Espagne encore républicaine, les révolutionnaires auront à lutter sur deux fronts, pris en étau entre l’ennemi extérieur et celui de l’intérieur. D’un côté, un fascisme financé par l’Église et assisté sur le terrain par les puissances de l’Axe (l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste), et de l’autre, le Parti Communiste armé par Staline et à ses ordres.
2) Le sursaut révolutionnaire
La militarisation des Milices Populaires, décrétée en octobre 1936, suscita de vives réactions sur le front parmi les anarchistes. Le Décret de Militarisation avait été discuté avec passion au sein de la colonne Durruti, et elle avait décidé de le refuser car il ne pouvait améliorer les conditions de combat des miliciens volontaires du 19 juillet, ni résoudre le manque chronique d’armement. Dans une lettre adressée à la Generalitat, Durruti nie la nécessité d’une discipline de caserne à laquelle il oppose la supériorité de la discipline révolutionnaire : « Miliciens oui ; soldats jamais ».
Le 4 novembre 1936, jour où la presse annonce que quatre anarchistes ont prêté serment comme ministres dans le gouvernement de Madrid, Durruti prononce un discours très attendu sur la radio CNT-FAI et diffusé dans toute l’Espagne.
Dans ce discours de plusieurs heures, ce passage est très parlant: Si cette militarisation décrétée par la Generalitat a pour but de nous faire peur et de nous imposer une discipline de fer, ils ont fait une erreur. Vous avez tort, messieurs les conseillers, avec le décret de militarisation des milices. Puisque vous parlez de discipline de fer, je vous dis de venir avec moi au front. Nous sommes là, nous qui n’acceptons aucune discipline, parce que nous sommes conscients de faire notre devoir. Et vous verrez notre ordre et notre organisation. Ensuite, nous viendrons à Barcelone et nous vous interrogerons sur votre discipline, votre ordre et votre contrôle, que vous n’avez pas.
Ce discours allait droit au cœur de chacun des milliers de miliciens partis sur le front dans un grand élan révolutionnaire: ils ne se battaient pas pour la République ou la démocratie bourgeoise, mais pour le triomphe de la révolution sociale et l’émancipation du prolétariat.
Étant donné la figure charismatique de Durruti et la portée de ses paroles auprès du peuple, sa déclaration, adressées à ses frères de classe, avait toutes les chances d’attiser la haine des ennemis de la révolution, toutes variantes confondues. Il s’agissait là pour lui, d’une mort annoncée, exécutée sur le front de Madrid le 20 Novembre 1936, et ensuite transformée en énigme par une déification posthume. Et, comble de la récupération frisant le sarcasme, il sera même promu lieutenant-colonel dans l’armée populaire.
Après avoir surmonté une tentative de confrontation armée avec d’autres forces de la colonne, partisans de la militarisation, une partie de cette même colonne, décide d’abandonner le front (en février 1937) pour Barcelone, emportant ses armes. En Catalogne, l’opposition révolutionnaire s’organise en s’appuyant sur le mécontentement croissant du peuple de Barcelone qui a pris de l’ampleur en raison de la hausse l’accroissement de l’inflation qui aurait augmenté de 100 % doublé le coût de certaines denrées alimentaires de base au cours des six mois de la guerre civile, touchant surtout les secteurs populations les plus pauvres de la société urbaine. Cette inflation est le résultat de la thésaurisation des récoltes pour augmenter les prix de la part des petits capitalistes organisés au sein du PSUC. Témoins de la rupture entre les économies urbaines et rurales, des groupes de travailleurs armés et des membres des patrouilles de contrôle, débordant les Comités supérieurs de la CNT, ont commencé à réquisitionner les cultures dans les campagnes et ils vont s’allier à ces miliciens de la colonne Durruti. Luttant ensemble pour la socialisation dans les entreprises et décidés à faire face à la contre-révolution, ils fondent en mars 1937, l’association « Los Amigos de Durruti ». Aussi, « les amis de Durruti » préconisent le contrôle prolétarien de l’armée et de la police, l’abolition du Corps de sécurité de l’État et des parlements bourgeois, dans lesquels les anarchistes sont toujours représentés. Ils seront les principaux déclencheurs et participants des Journées de Mai de 1937.
3) Mai 1937 à Barcelone
Malgré sa plaidoirie pour une « seconde révolution », l’opposition révolutionnaire, n’était plus qu’un mouvement défensif, mais bien décidé à stopper l’assaut de l’État républicain contre le pouvoir des comités locaux et des patrouilles ouvrières. Cependant, même en tant que telle, l’opposition révolutionnaire constitue un défi direct à la reconstruction du pouvoir d’État ayant grandi à l’ombre de la révolution et désormais en position forte pour faire valoir son droit historique au monopole de la force armée.
Le 3 mars, un décret de la Generalitat visant à dissoudre tous les comités révolutionnaires locaux, à désarmer les patrouilles ouvrières et à confier le contrôle de la frontière française aux forces de l’État, provoque la démission des ministres anarchistes. Après ce semblant d’opposition, ils reviendront le 27 et le Décret sera adopté avec leur accord.
Alors, la tension entre les forces opposées atteignant son paroxysme, des affrontements éclatent entre la police et les travailleurs. La Generalitat va interdire les célébrations du 1er mai, arguant que la tension à Barcelone était trop intense. Compte tenu de la force des traditions ouvrières dans la ville, cette décision ne peut être interprétée que comme une provocation de la part du gouvernement et deux jours plus tard, le 3 mai 1937, les « événements de mai » éclatent à Barcelone.
La défaite des Journées de mai 1937, provoquée par le cessez-le-feu ordonné par les dirigeants de la CNT, certifia la victoire armée dont avait besoin la contre-révolution, dirigée par les staliniens, qui, début juin, dissolvaient les Patrouilles de contrôle et, fin septembre, manu militari, tous les comités de défense de quartier. L’idéologie de l’unité antifasciste, qui unit le gouvernement de la Generalitat, les staliniens, les républicains et les comités supérieurs, sans autre but que de gagner la guerre et d’écraser la révolution, impose une répression féroce du mouvement anarcho-syndicaliste et du POUM20.
4) L’attaque contre les collectivités
En juin 1937, à la surprise générale, le communiste Uribe, ministre de l’agriculture qui avait jusque-là toujours appuyé ouvertement les conservateurs et réactionnaires de l’intérieur, publie un décret légalisant les Collectivités sur l’ensemble du territoire espagnol, quelles que soient les circonstances qui les aient fait naître. Mais ce n’était que pour mieux s’en défaire. Immédiatement, des équipes de jeunes communistes se rendent en Catalogne et au Levant afin d’aider les paysans pour la récolte. Mais ces brigades de choc avaient un seul but : pénétrer les organisations agricoles, s’en emparer et les détruire.
À la mi-juin, l’attaque commence en Aragon à grande échelle et avec des méthodes jusqu’alors inconnues. Le Major stalinien, Lister se charge de l’attaque directe avec pour résultat final, 30% des collectivités détruites. Partout, ont lieu des arrestations et des pillages. De nombreux entrepôts de blé et des coopératives sont saccagés, le mobilier mis en pièces et dans la région de Valence, de véritables batailles se livrent avec utilisation de chars par l’armée.
5) La guerre dévore la révolution et la République
Les comités de défense publient encore, en octobre-décembre 1937, un journal prônant la solidarité avec les prisonniers révolutionnaires et attaquant le collaborationnisme. De juin 1937 à la fin de la guerre, l’État stalinien procède à la persécution, à la torture et l’anéantissement physique poussant le secteur radical de la CNT, les trotskystes et le POUM, à la clandestinité21.
L’anarchisme d’État lui, a consolidé sa collaboration avec la bourgeoisie républicaine, s’est approprié la victoire sur le fascisme, a réprimé tout danger révolutionnaire dans ses rangs et a assumé les tâches propres à toute bureaucratie qui aspire à s’intégrer dans l’appareil d’un État qui impose la militarisation du travail et de la vie, le rationnement le plus strict et l’économie de guerre. En 1938, beaucoup de révolutionnaires ont été assassinés, sont en prison ou dans la clandestinité la plus absolue. Ce n’est pas la dictature de Franco mais bien la République de Negrin qui a mis fin à la révolution et a creusé sa propre tombe et celle des antifascistes.
VII – bilan – leçons : à apprendre ou à laisser
Il est certes bien plus aisé de faire une analyse critique des évènements une fois hors du contexte de l’époque évoquée où la guerre faisait rage de tous côtés. Le recul nous facilite la compréhension et nous donne l’occasion de faire un hommage sans réserve aux révolutionnaires les plus lucides de ce moment exceptionnel sous bien des aspects. Cette analyse critique peut nous permettre de nous imprégner de l’expérience de ce grand mouvement tout en la contextualisant, en saisir les éléments pertinents pour tracer notre voie vers l’émancipation.
La victoire révolutionnaire :
- En juillet 1936, les ouvriers ont su agir sans leurs chefs, et ont procédé à l’expropriation de la bourgeoisie et à la suppression de certains éléments fondamentaux du Capitalisme (État armée, Église, police). Mais en plus, dans un premier temps, ils ont également écrasé débordé leurs propres organisations politiques et syndicales.
- Ces conquêtes sociales, économiques, politiques, culturelles correspondent parfaitement à l’idéologie anarcho-syndicaliste qui, tout en étant imprégnée d’un esprit politique tactique de lutte, méprise le domaine du politique et en arrive à négliger la question de la prise de pouvoir22.
Dans le domaine politique :
- Ces conquêtes ne cherchaient pas à prendre le pouvoir, mais à faire la révolution sociale en détruisant l’armée, en abolissant le pouvoir de l’Église et en gérant les usines. Le moteur des comités révolutionnaires d’usine ou locaux étaient l’auto-organisation de la classe ouvrière profitant de la situation révolutionnaire, créant ainsi, tacitement, l’embryon des organes de pouvoir du prolétariat révolutionnaire.
- Leur faiblesse: une incapacité à se coordonner entre eux, dans le but d’imposer leur propre pouvoir tout en sapant celui de l’État. Faisait défaut, une organisation révolutionnaire capable de transformer ces comités en pouvoir populaire effectif, les assemblées élisant en démocratie directe leurs délégués, révocables à tout moment, avec une capacité de se coordonner au niveau régional et national. Les partis politiques hors de combat, la CNT, comme syndicat, outil de combat contre le capitalisme, aurait pu alors s’effacer de la scène pour laisser la place aux nouvelles institutions politiques révolutionnaires naissantes, fédérées régionalement et confédérées au-delà.
- De plus, ces comités, ayant subi la lourde influence de l’idéologie de l’unité antifasciste, beaucoup se sont rapidement transformés en comités antifascistes, composés d’ouvriers et de bourgeois, au service du programme de la petite bourgeoisie. En raison de la guerre et du péril, ils n’ont pas su agir contre leurs chefs, ils ont respecté l’appareil d’État et ses fonctionnaires, et en mai 1937, ils ont accepté, sous la contrainte et bien qu’à contrecœur, la capitulation devant leur ennemi de classe : la bourgeoisie.
- Étant donnée leur incapacité théorique, faute de programme politique propre et d’une stratégie correspondante, les anarchistes malgré leur phraséologie antiétatique, n’ont jamais soulevé la question du pouvoir, qu’ils ont laissé aux mains des politiciens professionnels de la bourgeoisie républicaine et des socialistes et qu’ils ont même partagé avec eux, lorsque leur participation était nécessaire pour fermer la voie à une alternative révolutionnaire, au nom de l’antifascisme.
- Ainsi, l’entrée de ministres anarchistes et de poumistes dans le gouvernement de la Generalitat, et par la suite dans le gouvernement de Madrid, permit la dissolution des comités locaux en octobre 1936, sans la moindre résistance armée, pour laisser place à des municipalités antifascistes. Des comités de défense et d’usine, et certains comités locaux, ont résisté à leur dissolution définitive, bien qu’ils ne soient parvenus qu’à la retarder.
- Du coup, la guerre civile devenait une guerre entre deux fractions de la bourgeoisie : les fascistes d’un côté et les républicains-démocrates de l’autre, mais dans laquelle le peuple avait déjà été vaincu.
- Or l’essence de l’antifascisme23 consiste à promouvoir la lutte contre le fascisme en renforçant la démocratie. Ainsi il ne soutient pas une lutte contre le capitalisme lui-même, mais seulement contre l’une des formes multiples et circonstancielles que ce capitalisme adopte.
Dans le domaine économique :
Le terme générique de collectivisation, souvent converti en mythe, a de fait connu quatre étapes :
- La saisie ouvrière, de juillet à septembre 1936.
- L’adaptation des saisies au Décret des Collectivisations c’est à dire sa récupération étatique, d’octobre à décembre 1936, en l’absence de remise en cause, d’alternatives et de slogans de la CNT officielle. Ainsi, le Décret en usurpant son nom, muait la Collectivisation en Capitalisme syndical.
- La lutte de la Generalitat pour diriger l’économie et contrôler les Collectivisations, face à la tentative de socialisation de l’économie impulsée par le secteur radical du militantisme de la CNT, de janvier à mai 1937.
- L’interventionnisme progressif et la centralisation de l’État du gouvernement central, ont imposé une économie de guerre et la Militarisation du travail, de juin 1937 à janvier 1939.
VIII – Pour conclure :
Les Amis de Durruti ont avancé des propositions pragmatiques les plus cohérentes et théoriquement les plus lucides pour faire aboutir cette révolution en insistant sur le caractère totalisant de la révolution, car devant se dérouler dans tous les domaines à la fois: du politique, de la défense, de l’économie, du social, du culturel…, et ce, dans tous les pays, dépassant toutes les frontières nationales.
Dans un contexte non-industrialisé, moins formatés, les paysans ont fait preuve d’une conscience sociale et d’une capacité créatrice bien supérieure à celle des travailleurs urbains, autant dans le domaine politique, de socialisation, d’inventivité et de transformation en général. Avec la socialisation des moyens de production, le développement d’une production/consommation les plus locales et territoriales possibles, et la suppression de l’argent dans bien des collectivités, ces dernières ont fait un grand pas vers la suppression de la valeur et du travail, soit la suppression des catégories essentielles du Capitalisme. Mais cette tentative restait vouée à l’échec si elle ne faisait pas tache d’huile dans tout le pays mais aussi à l’échelle mondiale. Restait conjointement à décentraliser les villes et les productions industrielles tel que l’avait théorisé, le secrétaire des intellectuels de la CNT, préfigurant et devançant ainsi les propositions de l’écologie sociale24. La révolution vaincue, tous ces espoirs se sont dissipés, mais sans toutefois se perdre puisque l’histoire nous permet de les revendiquer.
IX – Pour une stratégie communaliste Ici et Maintenant
« Connais l’adversaire et surtout connais-toi toi-même et tu seras invincible. » Sun Tzu L’art de la guerre
Bien du temps s’est écoulé depuis et le capitalisme a mué bien des fois afin de pouvoir poursuivre sa course folle vers plus de valorisation de la valeur. Ainsi l’une de ses principales victoires a consisté en la la désactivation ou plutôt la mise entre parenthèse de sa première contradiction, celle opposant les communautés éclatées et dépossédées de leurs moyens de production à ceux se les ayant accaparées. Cette longue et rude guerre entre prolétariat et Capital, a été pour l’instant gagnée par ce dernier25 en conduisant le prolétariat dans sa logique de consommation, une logique menant à la société du spectacle, la séparation et l’atomisation sociale mais aussi à la dévastation écologique. Ce sont ces derniers effets qui nous donnent la mesure des ultimes contradictions du Capitalisme, celles d’une guerre contre la vie elle-même.
Le défi actuel est de taille à l’heure même où la techno-science et le numérique nous confondent, nous aveuglent et nous contrôlent au point d’en arriver à accepter le fatalisme d’une destruction programmée par la dynamique-même de ce système. Le sursaut des consciences est vital pour enfin se décider à se préparer pour gagner cette guerre. Il nous faut bien saisir dès le départ qu’aucun mouvement à prétention révolutionnaire ne peut naître ni se développer, en tournant le dos à son passé. Un proverbe africain affirme, « Si tu ne sais où aller, regarde derrière toi. » Cette humilité nous donne la mesure de ce que l’on peut apprendre de la guerre et de la révolution en Espagne, du fascisme et des réponses tronquées de l’antifascisme. Et aussi et surtout du développement de ce mouvement libertaire et son élan hors pair car nourri d’une dialectique entre trois éléments indissociables : pratique, théorie et rêve. Toute une stratégie élaborée non par des intellectuels notoires mais par une intelligence collective développée émotionnellement dans le feu de l’action, dans les luttes collectives et les réalisations alternatives, dans une complicité étroite pour un objectif commun : le communisme libertaire.
Autre élément d’importance à reprendre de nos aînés espagnols, dans l’agir ici et maintenant d’un mouvement constitué, celui de ne pas attendre la déflagration d’une révolution pour la faire. Il s’agit bien de constituer de suite des institutions souples mais solides comme embryon du monde à venir. C’est de ce fait historique que se nourrit la proposition politique essentielle du communalisme de Murray Bookchin qui va déterminer l’essence-même de la stratégie communaliste: « La tension entre les confédérations et l’État doit rester claire et sans compromis… le municipalisme libertaire se forme dans un combat contre l’État, il est renforcé, et même défini par cette opposition. » Et ce jusqu’à parvenir à un rapport de force qui nous soit favorable.
Dans nôtre contexte géopolitique actuel, la question politique et sociale est indissociable de celle de l’écologie. Elle s’affirme dans les marges, à travers les pratiques, en des territoires restreints, dans les communes et partout où des groupes humains cherchent à reprendre le contrôle de leurs vies (logement, agriculture paysanne, santé, production énergétique et de biens essentiels, vie artistique, etc.). Aucun projet alternatif n’aboutira réellement sans le développement d’un mouvement qui regroupe tant les luttes contre toute domination et pour la dignité, que les alternatives concrètes se cherchant consciemment hors du capitalisme. La nécessité étant dès lors, de multiplier des échanges entre ces espaces, de créer des liens de solidarité, de les ancrer dans et entre les communes, les régions et internationalement. Dotées de cette culture et pratique communaliste, les nombreuses expériences en cours autour de la pédagogie sociale, les enseignements alternatifs, l’éducation populaire, les habitats et lieux partagés, les productions autogérées, les fermes collectives, les luttes anti-patriarcales, les luttes féministes, les luttes contre le numérique, les solidarités actives avec les migrants et les ZAD, peuvent participer à enrichir cette dynamique politique, qui partant du local, doivent se fédérer sur un territoire et se confédérer au-delà.
Trois évènements récents nous apportent des éléments fondamentaux pour élaborer une stratégie concrète et pertinente. Le premier à considérer est sans doute la pandémie qui a permis à un grand nombre de personnes de subir de manière directement sensible, la dépendance vis à vis de la grande distribution soumise au marché mondial quant à notre alimentation et le système de soins. Cette démonstration flagrante de notre manque d’autonomie alimentaire a permis à nombre de personnes d’y voir plus clair. Plus près de nous et toujours sur le même thème, les Soulèvements de la terre, nous ont montré la voie, la détermination d’un mouvement pour dénoncer l’accaparement de l’eau de la part de l’agro-industrie, mobiliser des forces pour obtenir des victoires. Encore plus près de nous, la mobilisation des agriculteurs dans toute l’Europe dénonce l’accélération de la mondialisation du marché agricole via les accords de libre échange, en l’occurrence le « Mercosur », qui sacrifie les petits agriculteurs et nous hôte toute autonomie alimentaire. Nous en arrivons là à un point où s’achève le processus entamé avec les enclosures, soit la disparition de nos paysans, tant au Nord comme au Sud, convertissant la terre en un monde/usine énergivore et polluant. Cette prise de conscience croissante de nous retrouver à la merci de cette machinerie de plus en plus fragile quant aux ressources alimentaires nous trace la voie par laquelle nous retrouver ensemble, à la fois les personnes en lutte et celles en création d’alternatives.
Partant de ces mouvements sociaux, des luttes de classe, luttes pour la dignité contre toute domination et exploitation, nous ne voulons plus déléguer notre pouvoir politique mais nous en saisir directement à l’intérieur de nos assemblées populaires et décisionnelles. C’est là tout un processus qui doit impliquer tous les collectifs des villes et des campagnes en lutte contre les dominations et contre le capitalisme afin de créer et ancrer nos propres auto-institutions communales en tension avec celle de l’État. Le monde de demain se construisant aujourd’hui. C’est en ces assemblées, dans la complicité de la réflexion et du faire ensemble dans la perspective d’un monde nouveau, l’empathie aidant, que nous seront en mesure de déterminer ensemble nos besoins réels en alimentation, en pensant au plus démunis et en étroite collaboration et participation avec les petits agriculteurs, dans le but de repeupler les campagnes vidées de leurs habitants. Il s’agit là d’une création commune du politique26 comme lien fort à l’intérieur de nos diversités et insérée dans le milieu naturel. Mais aussi d’une démarche consciente et volontaire vers une sortie définitive du capitalisme et pour une écologie sociale.Actuellement et compte tenu de ces mobilisations vitales qui concernent tout le monde, il convient d’aligner notre stratégie sur cette voie consistant à reconquérir une autonomie alimentaire27, alliée indispensable d’une autonomie politique.
De quelles forces disposons-nous ? Non pas potentiellement mais effectivement ? Il nous faut bien admettre que le rapport de force est loin de nous être favorable par manque d’adhésion à nos propositions mais surtout par manque d’organisation. Et c’est bien là que le bât blesse, et c’est ce manque que notre stratégie se doit en premier lieu de combler. Alors si nous parvenons à enclencher cette dynamique, nous aurons fait le premier pas, sans doute le plus difficile. A nous toutes et tous de développer cette intelligence collective, dans le dialogue incessant et déterminé pour créer ce mouvement émancipateur fédérateur, porteur d’espoir, localement, régionalement puis au-delà.
Floréal M. Romero
Quatre livres inspirants au sujet de l’anarchisme espagnol :
- Les chemins du communisme libertaire en Espagne 1868-1937 (3 volumes) Myrtille, gyménologue. Éditions divergences, 2019
- Barricadas en Barcelona Agustín Guillamón Ed. Espartaco Internacional, 2007
- Espagne Libertaire Gaston Leval Éditions du monde libertaire, 1983
- Les anarchistes espagnols Les années héroïques 1868-1936 Murray Bookchin Ed Lux 2023
Notes :
- Jérôme Baschet : Basculements.Mondes émergents possibles désirables Ed. La découverte 2021. ↩︎
- Guy Debord : La société du spectacle. ↩︎
- « nation » entendue comme territoire physique, et non comme entité ethnoculturelle. ↩︎
- Droit de tuer les prisonniers lorsqu’ils s’évadent de prison. Évasions le plus souvent provoquées afin de mieux exécuter les prisonniers. ↩︎
- « Le jour on trime dans leurs usines, mais la nuit la ville est à nous » Slogan de l’époque, repris par Chris Ealham : La lucha por Barcelona. ↩︎
- L’historien Agustín Guillamón à propos du 19 Juillet à Barcelone : En trente deux heures, le peuple de Barcelone, avait vaincu l’armée (…) À neuf heures du matin, une contagion révolutionnaire imparable avait commencé, mimétique et massive, curieuse et audacieuse, qui à midi était devenue un phénomène de masse, amenant dans les rues une foule immense qui voulait participer à tout prix à la bataille de Barcelone contre le fascisme, remplie de la peur de manquer l’occasion d’intervenir de quelque manière que ce soit dans la victoire populaire déjà certaine. Barricadas en Barcelona Ediciones Espartaco Internacional 2007. ↩︎
- L’initiative est venue du peuple, surtout du peuple influencé par les anarchistes. (…) Ce qui était surprenant en parlant avec ces paysans, c’était de constater que dans la grande majorité des cas, ils étaient analphabètes. Mais ils possédaient la foi, le sens commun et pratique, l’esprit de sacrifice, la volonté de construire un monde nouveau. Je n’ai pas l’intention de faire une apologie démagogique de l’ignorance. Ce qui existait chez ces hommes, c’était une mentalité, un cœur, un esprit, que l’éducation ne fournit pas et que même l’éducation officielle étouffe souvent. Gaston Leval. L’attivitá sindacale nella trasformazione sociale. ↩︎
- Pour exemple, l’unification en quelques jours des trois compagnies de chemins de fer dans la province de Barcelone et celle des tramways dans sa capitale. A cet effet, se crée une brigade pour l’harmonisation des différents matériaux utilisés par les compagnies et la synchronisation des horaires. Une mise au point aussi rapide fut cependant d’une efficacité exemplaire, grâce à la préparation des syndicats de la CNT et aucun accident ni déraillement ne fut à déplorer, contrairement á ce qui se passa en Grande Bretagne lors de la privatisation des chemins de fer dans les années 1980, 2000 et 2002 où l’on signala plusieurs accidents et une dégradation évidente des services, tant en France que dans la péninsule ibérique. ↩︎
- Elle n’est pas le Syndicat, car elle englobe tous ceux qui veulent s’intégrer à elle, qu’ils soient producteurs au sens classique du mot, ou non. Puis elle les réunit sur le plan humain, intégral de l’individu, et non pas seulement sur celui du métier. (…) Les droits et les devoirs sont les mêmes pour tous; il n’y a plus de catégories professionnelles s’opposant les unes aux autres, et faisant des producteurs, des privilégiés de la consommation par rapport à ceux qui, telle la femme au foyer, ne produisent pas, toujours au sens économique ou classique du mot. (…) Question d’euphonie peut-être, et d’ampleurs de vue, d’humanisme: l’homme au-delà du producteur. Plus besoin du syndicat quand il n’y a plus de patron. Espagne libertaire 36-39 de Gaston Leval – Editions du monde Libertaire 1983 pp. 386-387. ↩︎
- Lorenzo, 2006, pp. 172-173 cité p. 27 dans Les chemins du communisme libertaire en Espagne 1868-1937 Myrtille, giménologue Ed. Divergences 2019. ↩︎
- Agustín Guillamón Barricadas en Barcelona P. 52 Ed. Espartaco Internacional Janvier 2017. ↩︎
- Cultivar bajo las bombas: file:///Users/fmr/Downloads/Dialnet-CultivarBajoLasBombas-8011475.pdf ↩︎
- La Generalitat de Catalunya est l’institution catalane d’autogouvernement créée en 1931 et qui a fonctionné jusqu’en 1939 dans le cadre de la deuxième République espagnole. Pendant cette période, l’institution est historiquement connue sous le nom de « Generalitat républicaine », avec plus d’autonomie que sous la Monarchie actuelle. ↩︎
- Sous couvert de CMMA, il s’agissait en réalité d’un gouvernement déguisé, une espèce de Front populaire avec des représentants de la Generalitat, des partis républicains bourgeois, les staliniens du PSUC, du POUM et des comités supérieurs de la CNT. ↩︎
- Agustín Guillamón Barricadas en Barcelona P. 84. ↩︎
- C’est la réapparition de l’arrivisme capitaliste, mais à la différence qu’il n’y a plus un propriétaire mais des dizaines : A Barcelone, et dans presque toutes les villes, dans les centres industriels de la Catalogne, chaque usine fabriquait et vendait ses produits pour son propre compte, chacune cherchait ses clients et les disputait à l’usine rivale. Un néo-capitalisme ouvrier était né. Dans le commerce, le même néo-capitalisme s’est manifesté à une échelle beaucoup plus grande. Dans les usines et les entreprises qui étaient aux mains des syndicats, la production augmentait, ou du moins il n’y avait pas de déficit ; dans la mesure des ressources disponibles, la production augmentait. En outre, il n’était pas immoral que les salaires soient deux ou trois fois plus élevés sur la base des matières premières disponibles et des talents commercialisables possédés. Gaston Leval, « L’attivitá sindacale nella trasformazione sociale ». ↩︎
- Le Parti socialiste unifié de Catalogne ou PSUC (en catalan Partit Socialista Unificat de Catalunya) est un ancien parti catalan appartenant au Komintern, fédéré avec le Parti communiste d’Espagne (PCE). Créé en 1936, il est dissous en 1987. Source Wilkipédia. ↩︎
- POUM (Partido Obrero de Unificación M;arxista) Parti fondé en 1935 et auto-défini comme étant marxiste révolutionnaire en opposition au stalinisme et proche du trotskisme. ↩︎
- Un gouvernement qui envoie des garçons de quinze ans sur le front avec des fusils vieux de quarante ans, et garde ses hommes les plus forts et ses armes les plus modernes à l’arrière, est manifestement plus effrayé par la révolution que par les fascistes. Là est l’explication de la faiblesse de la politique de guerre des derniers six mois, et du compromis par lequel presque certainement se terminera la guerre.
George Orwell dans une lettre adressée le à Geoffrey Gorer le 5 Septembre 1937. https://acontretemps.org/spip.php?article223 ↩︎ - George Orwell, ayant vécu les évènements de mai 1937 et écrira plus tard le livre Hommage à la Catalogne, se prononce à propos de la suppression du POUM, dans une lettre adressée le 5 Septembre 1937 à Geoffrey Gorer,: D’abord elle rend clair pour l’étranger ce qui éclatait déjà aux yeux de quelques observateurs en Espagne : que le gouvernement actuel a plus de points de ressemblance que de différence avec le fascisme. (Ce qui ne signifie nullement qu’il ne vaille pas la peine de lutter contre le fascisme plus ouvert de Franco et d’Hitler. J’avais, quant à moi, saisi dès le mois de mai la tendance fasciste du gouvernement, mais je n’en étais pas moins volontaire pour retourner sur le front et j’y suis retourné.) Voir : https://acontretemps.org/spip.php?article223 ↩︎
- George Orwell, dans cette même lettre le résume admirablement : Il se peut, cela va sans dire, que la révolution ait été définitivement perdue en ces quelques jours de Mai. Mais je pense, cependant, que c’était un moindre mal, bien qu’à dire vrai de très peu moindre, de perdre la révolution que de perdre la guerre. https://acontretemps.org/spip.php?article223 ↩︎
- Je signale un fait curieux : le fiasco du sommet, des têtes dirigeantes, des « hommes de tête ». Je ne parle pas seulement des politiciens, des dirigeants socialistes et communistes. Je parle aussi des militants anarchistes notoires, de ceux que l’on appelle dans le langage courant les leaders (…) Le fait est qu’ils étaient, avant tout, des démolisseurs. La lutte contre l’État et la société capitaliste les avait imprégnés d’un esprit politique tactique, auquel ils subordonnaient toute leur culture et leur prestige personnel.
G. Leval: « L’attivitá sindacale nella trasformazione sociale. ↩︎ - Agustín Guillamón nous le résume à perfection: L’antifascisme révolutionnaire n’existe pas, au-delà de la rhétorique vide d’un oxymoron confus. L’antifascisme est toujours démocratique et inclusif, il n’est jamais antisystème, et il est toujours objectivement contre-révolutionnaire. Une autre chose est l’image déformée et fausse que les antifascistes militants croient et diffusent d’eux-mêmes comme des coqs de combat avec un éperon terrible, alors qu’ils ne sont que des volailles plumées, prêtes à être égorgées et jetées dans le chaudron. ↩︎
- Voir : Agir ici et maintenant. Penser l’écologie sociale de Murray Bookchin de Floréal M. Romero Ed. Du Commun 10-10-2019 P-81 à 84. ↩︎
- Ainsi se prononça le milliardaire Warren Buffet, en 2006 : Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui la mène, et nous sommes en train de la gagner (le New York Times du 26 novembre 2006). ↩︎
- On ne défend jamais que ce que l’on aime. En plus du lien de confiance, voire de collaboration directe par l’entraide, cette pratique constitue à elle seule une école de la vie, d’un développement fort de l’empathie et d’immersion dans le milieu naturel par une appréhension sensorielle de notre lien à la nature et du plaisir à en faire partie et collaborer avec elle. ↩︎
- Voir : Reprendre la terre aux machines par l’Atelier Paysan Ed Points 2023. ↩︎
- Jérôme Baschet : Basculements.Mondes émergents possibles désirables Ed. La découverte 2021. ↩︎
- Guy Debord : La société du spectacle. ↩︎
- "nation" entendue comme territoire physique, et non comme entité ethnoculturelle. ↩︎
- Droit de tuer les prisonniers lorsqu'ils s'évadent de prison. Évasions le plus souvent provoquées afin de mieux exécuter les prisonniers. ↩︎
- « Le jour on trime dans leurs usines, mais la nuit la ville est à nous » Slogan de l'époque, repris par Chris Ealham : La lucha por Barcelona. ↩︎
- L'historien Agustín Guillamón à propos du 19 Juillet à Barcelone : En trente deux heures, le peuple de Barcelone, avait vaincu l'armée (…) À neuf heures du matin, une contagion révolutionnaire imparable avait commencé, mimétique et massive, curieuse et audacieuse, qui à midi était devenue un phénomène de masse, amenant dans les rues une foule immense qui voulait participer à tout prix à la bataille de Barcelone contre le fascisme, remplie de la peur de manquer l'occasion d'intervenir de quelque manière que ce soit dans la victoire populaire déjà certaine. Barricadas en Barcelona Ediciones Espartaco Internacional 2007. ↩︎
- L'initiative est venue du peuple, surtout du peuple influencé par les anarchistes. (…) Ce qui était surprenant en parlant avec ces paysans, c'était de constater que dans la grande majorité des cas, ils étaient analphabètes. Mais ils possédaient la foi, le sens commun et pratique, l'esprit de sacrifice, la volonté de construire un monde nouveau. Je n'ai pas l'intention de faire une apologie démagogique de l'ignorance. Ce qui existait chez ces hommes, c'était une mentalité, un cœur, un esprit, que l'éducation ne fournit pas et que même l'éducation officielle étouffe souvent. Gaston Leval. L'attivitá sindacale nella trasformazione sociale. ↩︎
- Pour exemple, l'unification en quelques jours des trois compagnies de chemins de fer dans la province de Barcelone et celle des tramways dans sa capitale. A cet effet, se crée une brigade pour l'harmonisation des différents matériaux utilisés par les compagnies et la synchronisation des horaires. Une mise au point aussi rapide fut cependant d'une efficacité exemplaire, grâce à la préparation des syndicats de la CNT et aucun accident ni déraillement ne fut à déplorer, contrairement á ce qui se passa en Grande Bretagne lors de la privatisation des chemins de fer dans les années 1980, 2000 et 2002 où l'on signala plusieurs accidents et une dégradation évidente des services, tant en France que dans la péninsule ibérique. ↩︎
- Elle n'est pas le Syndicat, car elle englobe tous ceux qui veulent s'intégrer à elle, qu'ils soient producteurs au sens classique du mot, ou non. Puis elle les réunit sur le plan humain, intégral de l'individu, et non pas seulement sur celui du métier. (…) Les droits et les devoirs sont les mêmes pour tous; il n'y a plus de catégories professionnelles s'opposant les unes aux autres, et faisant des producteurs, des privilégiés de la consommation par rapport à ceux qui, telle la femme au foyer, ne produisent pas, toujours au sens économique ou classique du mot. (…) Question d'euphonie peut-être, et d'ampleurs de vue, d'humanisme: l'homme au-delà du producteur. Plus besoin du syndicat quand il n'y a plus de patron. Espagne libertaire 36-39 de Gaston Leval - Editions du monde Libertaire 1983 pp. 386-387. ↩︎
- Lorenzo, 2006, pp. 172-173 cité p. 27 dans Les chemins du communisme libertaire en Espagne 1868-1937 Myrtille, giménologue Ed. Divergences 2019. ↩︎
- Agustín Guillamón Barricadas en Barcelona P. 52 Ed. Espartaco Internacional Janvier 2017. ↩︎
- Cultivar bajo las bombas: file:///Users/fmr/Downloads/Dialnet-CultivarBajoLasBombas-8011475.pdf ↩︎
- La Generalitat de Catalunya est l'institution catalane d'autogouvernement créée en 1931 et qui a fonctionné jusqu'en 1939 dans le cadre de la deuxième République espagnole. Pendant cette période, l'institution est historiquement connue sous le nom de "Generalitat républicaine", avec plus d'autonomie que sous la Monarchie actuelle. ↩︎
- Sous couvert de CMMA, il s'agissait en réalité d'un gouvernement déguisé, une espèce de Front populaire avec des représentants de la Generalitat, des partis républicains bourgeois, les staliniens du PSUC, du POUM et des comités supérieurs de la CNT. ↩︎
- Agustín Guillamón Barricadas en Barcelona P. 84. ↩︎
- C'est la réapparition de l'arrivisme capitaliste, mais à la différence qu'il n'y a plus un propriétaire mais des dizaines : A Barcelone, et dans presque toutes les villes, dans les centres industriels de la Catalogne, chaque usine fabriquait et vendait ses produits pour son propre compte, chacune cherchait ses clients et les disputait à l'usine rivale. Un néo-capitalisme ouvrier était né. Dans le commerce, le même néo-capitalisme s'est manifesté à une échelle beaucoup plus grande. Dans les usines et les entreprises qui étaient aux mains des syndicats, la production augmentait, ou du moins il n'y avait pas de déficit ; dans la mesure des ressources disponibles, la production augmentait. En outre, il n'était pas immoral que les salaires soient deux ou trois fois plus élevés sur la base des matières premières disponibles et des talents commercialisables possédés. Gaston Leval, "L'attivitá sindacale nella trasformazione sociale". ↩︎
- Le Parti socialiste unifié de Catalogne ou PSUC (en catalan Partit Socialista Unificat de Catalunya) est un ancien parti catalan appartenant au Komintern, fédéré avec le Parti communiste d'Espagne (PCE). Créé en 1936, il est dissous en 1987. Source Wilkipédia. ↩︎
- POUM (Partido Obrero de Unificación M;arxista) Parti fondé en 1935 et auto-défini comme étant marxiste révolutionnaire en opposition au stalinisme et proche du trotskisme. ↩︎
- Un gouvernement qui envoie des garçons de quinze ans sur le front avec des fusils vieux de quarante ans, et garde ses hommes les plus forts et ses armes les plus modernes à l'arrière, est manifestement plus effrayé par la révolution que par les fascistes. Là est l'explication de la faiblesse de la politique de guerre des derniers six mois, et du compromis par lequel presque certainement se terminera la guerre.
George Orwell dans une lettre adressée le à Geoffrey Gorer le 5 Septembre 1937. https://acontretemps.org/spip.php?article223 ↩︎ - George Orwell, ayant vécu les évènements de mai 1937 et écrira plus tard le livre Hommage à la Catalogne, se prononce à propos de la suppression du POUM, dans une lettre adressée le 5 Septembre 1937 à Geoffrey Gorer,: D'abord elle rend clair pour l'étranger ce qui éclatait déjà aux yeux de quelques observateurs en Espagne : que le gouvernement actuel a plus de points de ressemblance que de différence avec le fascisme. (Ce qui ne signifie nullement qu'il ne vaille pas la peine de lutter contre le fascisme plus ouvert de Franco et d'Hitler. J'avais, quant à moi, saisi dès le mois de mai la tendance fasciste du gouvernement, mais je n'en étais pas moins volontaire pour retourner sur le front et j'y suis retourné.) Voir : https://acontretemps.org/spip.php?article223 ↩︎
- George Orwell, dans cette même lettre le résume admirablement : Il se peut, cela va sans dire, que la révolution ait été définitivement perdue en ces quelques jours de Mai. Mais je pense, cependant, que c'était un moindre mal, bien qu'à dire vrai de très peu moindre, de perdre la révolution que de perdre la guerre. https://acontretemps.org/spip.php?article223 ↩︎
- Je signale un fait curieux : le fiasco du sommet, des têtes dirigeantes, des "hommes de tête". Je ne parle pas seulement des politiciens, des dirigeants socialistes et communistes. Je parle aussi des militants anarchistes notoires, de ceux que l'on appelle dans le langage courant les leaders (...) Le fait est qu'ils étaient, avant tout, des démolisseurs. La lutte contre l'État et la société capitaliste les avait imprégnés d'un esprit politique tactique, auquel ils subordonnaient toute leur culture et leur prestige personnel.
G. Leval: "L'attivitá sindacale nella trasformazione sociale. ↩︎ - Agustín Guillamón nous le résume à perfection: L'antifascisme révolutionnaire n'existe pas, au-delà de la rhétorique vide d'un oxymoron confus. L'antifascisme est toujours démocratique et inclusif, il n'est jamais antisystème, et il est toujours objectivement contre-révolutionnaire. Une autre chose est l'image déformée et fausse que les antifascistes militants croient et diffusent d'eux-mêmes comme des coqs de combat avec un éperon terrible, alors qu'ils ne sont que des volailles plumées, prêtes à être égorgées et jetées dans le chaudron. ↩︎
- Voir : Agir ici et maintenant. Penser l'écologie sociale de Murray Bookchin de Floréal M. Romero Ed. Du Commun 10-10-2019 P-81 à 84. ↩︎
- Ainsi se prononça le milliardaire Warren Buffet, en 2006 : Il y a une guerre des classes, c'est un fait, mais c'est ma classe, la classe des riches, qui la mène, et nous sommes en train de la gagner (le New York Times du 26 novembre 2006). ↩︎
- On ne défend jamais que ce que l'on aime. En plus du lien de confiance, voire de collaboration directe par l'entraide, cette pratique constitue à elle seule une école de la vie, d'un développement fort de l'empathie et d'immersion dans le milieu naturel par une appréhension sensorielle de notre lien à la nature et du plaisir à en faire partie et collaborer avec elle. ↩︎
- Voir : Reprendre la terre aux machines par l'Atelier Paysan Ed Points 2023. ↩︎
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