La vie de Murray Bookchin

La vie de Murray Bookchin

En 2020, la lecture de « Le municipalisme libertaire – La politique de l’écologie sociale », écrit par Janet Biehl, me fit découvrir Murray Bookchin. Depuis lors, les thèses qu’il a développées tout au long de sa vie font partie intégrante de mon quotidien. C’est donc avec beaucoup de curiosité et un grand intérêt que j’ai abordé la biographie « La vie de Murray Bookchin – Écologie ou catastrophe » de Janet Biehl lorsque les éditions L’Amourier nous l’ont offert à l’occasion de la création de notre association Écologie Sociale Communaliste « L’Adventice » en mai dernier. Cet ouvrage offre en effet un éclairage précieux sur le parcours intellectuel et militant de celui qui fut l’un des penseurs les plus originaux et visionnaires de l’écologie politique au XXe siècle.

Un portrait nuancé d’un théoricien révolutionnaire

Janet Biehl, collaboratrice de longue date et compagne de Bookchin, livre un récit détaillé et intime de la vie du théoricien. Elle retrace avec finesse l’évolution de sa pensée, depuis ses débuts au sein du mouvement communiste jusqu’à l’élaboration de sa théorie de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire1.

Le livre met en lumière les influences diverses qui ont nourri la réflexion de Bookchin, de Marx à Kropotkine en passant par la philosophie hégélienne.

Parmi ses influences majeures, on peut en effet citer :

  • Karl Marx : Bien que Bookchin ait fini par rejeter certains aspects du marxisme, la critique du capitalisme de Marx a profondément influencé sa pensée. Pour lui, son analyse est incontournable.
  • Pierre Kropotkine : Le communisme libertaire de Kropotkine, en particulier ses idées sur l’entraide et la décentralisation, a eu un impact significatif sur Bookchin.
  • Lewis Mumford : Les travaux de Mumford sur l’urbanisme et la technologie ont inspiré Bookchin dans sa réflexion sur l’organisation des villes et l’utilisation des technologies à échelle humaine.
  • Elisée Reclus2 : Ce géographe anarchiste a influencé la vision de Bookchin sur les relations entre l’humanité et la nature.
  • Hans Jonas : La philosophie de la responsabilité de Jonas a contribué à la réflexion éthique de Bookchin sur les questions environnementales.
  • Herbert Marcuse : Les critiques de la société industrielle avancée par Marcuse ont nourri la pensée de Bookchin sur la domination et l’aliénation.

On y découvre un intellectuel en constante remise en question, n’hésitant pas à critiquer ses propres positions antérieures pour affiner sa vision d’une société écologique et démocratique3.

L’écologie sociale : une pensée d’une brûlante actualité

L’ouvrage de Biehl permet de saisir toute la pertinence et l’originalité de l’écologie sociale développée par Bookchin. Sa thèse centrale, selon laquelle la domination de la nature découle de la domination de l’homme par l’homme, apparaît plus que jamais d’actualité face à la crise écologique contemporaine4 5.

La biographie met en exergue la dimension profondément révolutionnaire de la pensée bookchinienne. Loin de se contenter d’aménagements à la marge, Bookchin appelait à une refonte radicale de nos structures sociales et politiques, seule à même de résoudre la crise écologique6.

Le communalisme : une voie concrète vers l’émancipation

L’un des grands mérites de l’ouvrage est de montrer comment la réflexion théorique de Bookchin s’est toujours accompagnée d’une recherche de moyens concrets, basés sur une analyse historique fine, sur une étude des mouvements et institutions révolutionnaires, leurs potentialités et les causes de leurs échecs, nous permettant d’appréhender les nombreux écueils à éviter pour transformer la société ici et maintenant7. Le municipalisme libertaire, rebaptisé plus tard communalisme, apparaît ainsi comme l’aboutissement pratique de sa pensée8 9.

Biehl retrace avec précision l’élaboration de ce projet politique visant à instaurer une démocratie directe à l’échelle locale, tout en tissant des liens confédéraux pour dépasser le localisme. On y voit un Bookchin soucieux de dépasser les limites du marxisme, de l’anarchisme et du réformisme parlementaire pour proposer une voie révolutionnaire adaptée aux défis du XXIe siècle[8].

Une inspiration pour les luttes actuelles

En retraçant la vie de Bookchin, Janet Biehl nous offre bien plus qu’une simple biographie. Elle nous livre un panorama stimulant des idées qui ont façonné la gauche radicale au XXe siècle et qui continuent d’inspirer nombre de mouvements émancipateurs aujourd’hui.

À l’heure où l’expérience des territoires du Chiapas au Mexique, du Rojava en Syrie, ont remis sur le devant de la scène les idées de Bookchin, cette biographie apparaît comme une ressource précieuse pour quiconque cherche à impulser un mouvement vers une société écologique et démocratique[8].

Si je devais pointer un manque, ce serait probablement l’absence d’un chapitre dédié au travaux de Bookchin sur sa critique radicale du capitalisme et de sa machinerie au-delà de Marx.

A ce sujet, Bookchin est pourtant intraitable : « Le capitalisme, en effet, constitue le point de négativité absolue pour la société et pour le monde naturel. Il n’est pas possible d’améliorer cet ordre social, de le réformer, de le transformer sur ses propres bases, par exemple en lui ajoutant un préfixe écologique pour en faire un « écocapitalisme ». La seule solution qui existe, c’est de le détruire, car il incarne tous les maux –des valeurs patriarcales à l’exploitation de classe, de l’étatisme à l’avarice, en passant par le militantisme et aujourd’hui, la croissance pour la croissance- qui ont affligé la « civilisation » et entaché ses plus grandes réalisations. »

En définitive, « La vie de Murray Bookchin » s’impose comme une lecture incontournable pour comprendre la genèse et la portée de l’écologie sociale. Elle nous rappelle l’urgence de repenser radicalement nos rapports sociaux et notre relation à la nature, tout en offrant des pistes concrètes pour y parvenir.

Notes:

  1. https://www.socialter.fr/article/murray-bookchin-lettre-mouvement-ecologiste ↩︎
  2. Hommage aux Reclus ↩︎
  3. https://ecosociete.org/livres/murray-bookchin-et-lecologie-sociale ↩︎
  4. https://laviedesidees.fr/Murray-Bookchin-a-bas-la-hierarchie ↩︎
  5. https://comptoir.org/2019/04/16/lecologie-sociale-de-murray-bookchin/ ↩︎
  6. https://wildproject.org/livres/l-ecologie-sociale ↩︎
  7. https://www.editionsducommun.org/collections/all/products/agir-ici-et-maintenant-floreal-m-romero ↩︎
  8. https://www.revue-ballast.fr/le-municipalisme-libertaire-quest-ce-donc/ ↩︎
  9. https://agone.org/livre/larevolutionavenir/ ↩︎

6 commentaires

  1. Je partage avec toi ton évaluation de l’impact Bookchin, même si je n’ai pas lu le livre de Janet Biehl. Mais elle est sans doute la personne la mieux placée pour parler de la vie de Bookchin. Mais tu écris « Si je devais pointer un manque, ce serait probablement l’absence d’un chapitre dédié au travaux de Bookchin sur sa critique radicale du capitalisme et de sa machinerie au-delà de Marx. » Peut-être est-ce l’évolution politique même de Janet, qui depuis plus de10 ans s’est éloigné de l’écologie sociale et d’une critique du capitalisme ? Je ne sais ce que pense du livre d’autres militantes et militants qui ont côtoyé de près Bookchin ?

    • Il semblerait que les commentaires proviennent principalement de critiques littéraires et de personnes intéressées par l’œuvre de Bookchin et ma connaissance aucuns de militantes et militantes l’ayant côtoyés de près. Il semble que l’ouvrage « La vie de Murray Bookchin – Écologie ou catastrophe » de Janet Biehl soit généralement bien accueilli et considéré comme une biographie détaillée et fidèle de Murray Bookchin. Et c’est malgré tout le sentiment général que j’ai eu lors de sa lecture consécutive à celle d’une petite dizaine des œuvres de Bookchin traduites en français. Sa critique radicale du capitalisme n’a en effet pas fait l’objet d’un chapitre dédié mais elle est néanmoins traitée tout au long de l’ouvrage. Le livre est en effet décrit comme un « travail de mémoire remarquable, allant bien au-delà de la vie de Bookchin elle-même ». Il retrace non seulement sa vie, mais aussi l’histoire des mouvements radicaux occidentaux et de l’écologie politique. Il n’y a donc pas de critiques négatives explicites mentionnées dans les sources disponibles. Au contraire, le livre semble apprécié pour sa rigueur et son exhaustivité.

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