Ce livre est un constat lucide sur la manière dont la domination marchande mondialisée a tué le voyage et tout ce qu’il contenait comme promesse de découverte et d’expérience. Comment le voyageur a été transformé en touriste et en consommateur au service de la machine économique. Comment le tourisme est devenu lui-même machine à détruire ce qui demeurait de cultures originales, d’espaces naturels et, pire encore, d’authenticité dans les relations humaines.
On parla, au fil des temps, de démocratisation des voyages, sans se rendre compte que, bien des années plus tard – aujourd’hui -, la démocratie deviendrait pour beaucoup soluble dans la consommation. Et le tourisme devint consommation, élément majeur du devenir-économie du monde. Désormais, la libération initiale, devenue la norme, se fait oppressante : elle martyrise natures et sociétés humaines, opprime l’esprit des voyages et transforme l’hospitalité des lieux en prestations, les habitants en prestataires, les paysages en décors. Voilà où l’on est arrivé.
La consommation du monde servirait notre épanouissement individuel et, partant, justifierait le système touristique en érigeant ses vertus pour chacun.
Cela suppose que notre vie, ici, ne se suffit pas. le tourisme est l’indispensable industrie d’un capitalisme mobilitaire qui alimente la demande en jouant sur l’insatisfaction permanente propre au désir de consommation. Cette forme de frustration entraîne le mouvement. (…)
Le tourisme propose de quoi oublier ses soucis, à défaut de permettre de régler ses problèmes.
Supportant mal les situations et les engagements de longue durée, le touriste surfe, zappe, naviguant au gré de ses envies géographiques. Son carburant psychique est l’insatisfaction. Il est mû par le désir vague de renouveler ses sensations grâce au mouvement dans l’espace, qui doit apporter son lot d’étrange nouveauté, à la condition que celle-ci soit inoffensive et que son expérience soit dûment bordée de coussins de sécurité et de voies de détresse bien balisées.
Pourtant, et c’est là que nous retrouvons cette vieille logique interne du capitalisme, le tourisme est le luxe d’une minorité dont l’impact concerne une majorité. (…) Fort de son bon droit et de sa bonne conscience, le tourisme dessine un clivage subtil entre ceux qui ont les moyens de profiter du monde et les autres qui sont là pour servir.
Mais alors que reste-t-il des liens entre tourisme et voyage, justement ? Le touriste, cet autre soi-même que le voyageur voudrait un moment oublier, ce touriste donc, devant lui où qu’il aille, signifie la ruine de son voyage, l’anéantissement de sa découverte. Alors tout est bon pour éloigner cet anti-héros du voyage de son univers subjectif : le fuir en visitant des lieux que les touristes n’ont pas encore envahis. le mépriser, prétendre ne rien avoir de commun avec lui.
On ne s’étonnera pas qu’à coté de cette figure déplorable du touriste apparaisse en complément ou en négatif celle du migrant, fuyant les guerres et les tueries, la famine et la misère. Autre voyageur, bien contre son gré, partout rejeté et méprisé parce que démuni. Conséquence directe pourtant de cette même organisation du monde qui a choisi la valeur froide du profit et de l’argent contre l’humain et le commun.
Un tableau intéressant, à travers cette problématique particulière, de cette schizophrénie où nous fait constamment verser la logique marchande dans un monde réduit à sa sphère économique et où les réalités humaines dans leurs diversités sont constamment bafouées et sciemment occultés.
Je trouve l’article très intéressant et je voulais d’avantage partager quelques idées merci
Volontiers, nous sommes tout à fait ouvert au dialogue à l’Atelier ; on pourrait même dire que nous le recherchons.
Par contre, et cela devrait être évident à nous lire, nous sommes opposés à toutes formes de sollicitations d’ordre commerciale.
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