Le thème de la sécurité est devenu quasi obsessionnel dans la néo-société du capitalisme tardif ; et comme il est de règle en ce monde là, la plus grande confusion possible est entretenue sur le sens que l’on prête à ce terme. Il n’est par exemple jamais précisé ce à quoi et ceux à qui ce confort sécuritaire est censé s’appliquer, ceux qui en seraient, si l’on peut dire, les grands bénéficiaires à l’encontre de ceux qui n’y auraient pas droit ou n’y auraient pas accès. Car dans le monde du capitalisme, chacun peut observer presque quotidiennement comment la sécurité des uns semble s’opposer presque systématiquement à celle des autres et que c’est précisément ce que cette confusion entretenue cherche à faire oublier. Pour imager banalement la question, il suffit de prendre l’exemple de la sécurité que cherche à se procurer le ou la propriétaire d’un gros 4×4 urbain en comparaison au sentiment de vulnérabilité très légitime que cela procure à ceux qui circulent de manière beaucoup plus légère. Ou la sécurité productive d’un agro-industriel par rapport à ceux qui en subissent les conséquences pour leur santé et leur environnement.
Mais le problème est loin de se cantonner à ce genre de détails. C’est en effet dans les racines même du mode organisationnel capitaliste que se situe son obsession sécuritaire jamais révolue. Et cela tout spécialement en cette phase historique où le capitalisme a le plus grand mal à présenter la moindre perspective d’un futur rassurant tout en s’obstinant en sa propre conservation et son incontournable croissance destructrice. Car le cœur de l’insécurité réside bien sûr dans la précarité quasi-permanente dans laquelle sont, semble-t-il, condamnés à vivre un nombre toujours croissant des habitants de cette terre à l’intérieur de la logique concurrentielle impitoyable qu’alimente l’idéologie capitaliste.
On peut certes contraindre, par l’assèchement et la privatisation des ressources les plus naturelles, des gens démunis à des emplois toujours plus précaires et très mal rémunérés, à des conditions de vie toujours plus sordides, on n’en fera pas par cela des citoyens satisfaits de leur état et prêts à s’y plier dans une éternelle passivité. D’où cette obsession sécuritaire des représentants de la domination et les moyens financiers toujours plus importants qu’ils veulent y consacrer aux dépens de toutes autres préoccupations. Aux dépens des ressources consacrées à la santé, à l’éducation , à un environnement sain. Aux dépens aussi des libertés individuelles les plus nécessaires à l’épanouissement humain. L’extraordinaire déploiement de moyens technologiques essentiellement consacrés à la surveillance et au contrôle permanent des populations, ce que l’on peut désigner globalement comme la Technopolice, n’a pas véritablement d’autre but. Cet objectif n’étant en lui-même pas avouable, il faudra constamment diriger l’attention sur d’autres prétextes. L’épouvantail de la menace terroriste, par exemple, à bon dos et est très régulièrement agité, même en l’absence prolongée de cette menace, pour justifier les agissements et déploiements de cette Technopolice toujours plus présente dans la vie quotidienne. Il suffit pourtant de comparer quantitativement les méfaits de cette menace à ceux causés par l’inflation des cancers et par les multiples maladies consécutives aux pollutions induites par le mode de production capitaliste pour se rendre compte qu’il y a là quelque chose qui cloche. Que la plus grande part de l’insécurité n’est pas vraiment là où appuient sans arrêt les médias de service et ceci avec la plus grande complaisance sur les intentions cachées de ceux qui les emploient. Que cette insécurité persistante tient au contraire principalement au mode d’organisation sociale que nous impose le capitalisme et que pour y mettre fin, il n’est d’autre solution que de se débarrasser de celui-ci.