« VICTIMISATION » – Abécédaire de l’Écologie Sociale

Nous voulons encore aborder ici un phénomène très contemporain en ce sens qu’aucun autre temps, qu’aucune autre civilisation, n’avait donné jusqu’ici une telle ampleur et une telle signification au statut de victime.

Certains pourraient y voir des raisons de se réjouir au nom d’une conception idéologique des droits de l’homme; nous voulons pour notre part démontrer qu’il existe de très fortes raisons de s’en attrister et surtout de tenter de dépasser ce phénomène qui enferme l’humanité dans une impasse avec des conséquences qui sont à l’opposé de celles qui sont généralement annoncées et proclamées par ceux qui semblent y trouver un intérêt. Aussi ne serons nous pas surpris finalement de constater que ces hérauts de la victimisation se recrutent essentiellement parmi les différents représentants de la domination et de ses thuriféraires. Les loups crient aux loups !

En aucune autre époque il ne serait venu à l’idée d’un individu ou d’un peuple de se poser socialement en victime ; il n’y avait tout simplement aucun profit à en espérer et cet état de victime était précisément ce dont il fallait sortir au plus vite si l’on voulait retrouver la réalité commune et une vie digne de ce nom.

Par quel étrange phénomène le statut de victime est-il devenu quelque chose qui puisse sembler profitable ?

Si être une victime reste en soit un sort peu enviable, la mise en représentation du rôle de victime peut s’avérer, dans certaines conditions, fort avantageux dans un monde où tout tend à devenir marchandise et donc négociable. La condition indispensable à la profitabilité de ce négoce est son exposition dans la sphère médiatique, sa publicité.

Plus l’espace médiatique occupé sera important et plus profitable sera cette mise en spectacle, cette marchandisation d’une souffrance particulière.

Dans le même temps, des multitudes d’êtres humains périront écrasés par cette même société spectaculaire-marchande dans la plus parfaite indifférence, totalement ignorés et méprisés.

C’est cette effarante indifférence aux souffrances des autres qui nous ramène au cœur de notre sujet. L’enfermement dans le rôle de victime, outre le fait qu’il ne peut mener à rien dans la sphère du devenir humain, a par ailleurs une conséquence d’ordre psychologique tout à fait fondamentale qui est précisément l’indifférence à toute souffrance étrangère à la sienne.

Car si les victimes d’une quelconque catastrophe tendent naturellement à la solidarité, les individus ou les peuples s’installant dans ce rôle de victime considèrent tout autre malheur comme concurrent, comme étant susceptible de nuire à la visibilité de ce qui les concerne.

On assiste alors à une sorte de foire d’empoigne dans la revendication du statut de victime qui se caractérise par le déni de tout ce que subissent les autres. Ce phénomène est particulièrement accentué dès qu’il y a conflit ; pour illustrer cela et l’amplitude de son champ d’application, on constatera que cela va tout aussi bien des péripéties calamiteuses de n’importe quel divorce judiciarisé jusqu’à l’ignominie du conflit israélo-palestinien où, comme on peut le constater, d’anciennes victimes se sont assez rapidement transformées en bourreaux au nom même de leur passé victimaire. A chaque fois, l’on retrouvera le même déni des réalités et du vécu de l’autre perçu uniquement comme persécuteur et et ennemi et par conséquent, indifférence à tout ce qu’il peut lui-même subir.

En effet, ce qui caractérise et explique à la fois la nature de cette figure de l’aliénation dans le spectacle, c’est le refus d’avoir à assumer une quelconque responsabilité. Il ne s’agit évidement nullement de justifier une quelconque forme de tyrannie ou d’oppression, lesquelles, on le remarquera, ne font dans le même temps que proliférer, mais de s’interroger sur ce qui, avec la mise en scène de la victimisation, ne fait que participer de cette continuité dans le malheur.

La logique de la victimisation peut parfois ressembler étrangement à ce que l’on nomme couramment fatalité mais s’agit-il vraiment de fatalité quand l’on songe à qui et à quoi sert vraiment cette logique, à qui cela profite pour qu’en finalité tout continue sur le même modèle.

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