Carnet de citations : Société N°40

Par « prolétaire », il n’y a rien d’autre à entendre, du point de vue de l’économie, que le travailleur salarié qui produit et valorise du « capital » et qu’on jette sur le pavé dès qu’il n’est plus indispensable pour les besoins de valorisation de « Monsieur Capital ». (Karl Marx)

Notre danse aveugle n’a qu’un chorégraphe impersonnel, qui dicte ses pas par l’intermédiaire du marché. Le langage que nous parlons – avec lequel nous tentons de nous adresser aux autres, dans ce brouillard – est le langage de la valeur. Ce n’est pas la seule langue qu’on peut entendre, si on tend l’oreille, mais c’est la plus assourdissante. C’est celle de la communauté du capital. (Endnotes)

Pour le libéralisme, la révolte est une exigence et une nécessité dépassée, valable pour les époques d’hier, mais trop extrême, trop explosive pour le présent. La Rébellion a une valeur à titre mémoriel. Quand elle surgit, vivante – occupation d’un campus ou marche échevelée à travers les rues – elle doit être rapidement réprimée. Il y a, dans le libéralisme, une forme de capture spectaculaire qui ne fait que neutraliser la révolte en la transformant, toujours plus, en image, en histoire apprivoisée à exposer dans les galeries du pouvoir, en résistance réduite avec succès à l’état de chose du passé. L’imagination libérale célèbre la révolte comme représentation tout en travaillant activement à pacifier sa présence réelle. (Ian Alan Paul)

Il s’agit du développement, au cours des XVIe et XVIIe siècles de ce que C. B. Macpherson a été le premier a appeler « l’individualisme possessif », par quoi il entend que les gens ont commencé à se considérer toujours plus comme des êtres isolés qui ne définissent plus leur rapport au monde en termes de relations sociales, mais en termes de droits de propriété. (David Graeber)

(Pour les nouveaux gouvernants), les analyses intersectionnelles et la « théorie queer » sont des références générationnelles, mais ceux et celles qui y adhèrent le font évidemment par calcul politicien, car le « nouveau féminisme » est pour eux pain béni. Il relègue les inégalités sociales bien après les discriminations qui frappent les « minorités » ; il réclame pour les femmes une meilleure insertion dans la société existante ainsi que davantage de protection par l’État – et il balaie la hiérarchie entre les sexes en dynamitant les catégories « hommes » et « femmes », pour ramener la question sociale à une reconnaissance d’identités individuelles et de relations entre des « communautés choisies ». (Vanina)

Toute société humaine, y compris son économie, est un sous-système de la planète Terre. Elle vit des flux de matières dans ce système d’ordre supérieur, de sa capacité à mettre à disposition de l’eau, de l’air respirable, de la nourriture, des minéraux et des conditions météorologiques relativement stables. La Terre peut très bien se débrouiller sans sociétés ni économies humaines, mais ces sociétés et ces économies ne peuvent pas un instant exister sans le système vivant ultracomplexe qu’est la Terre. Si le système d’ordre supérieur s’effondre, le sous-système périt aussi. Pour cette simple raison, l’idée que l’économie et la technique humaines puissent dominer la nature est aberrante. Un sous-système ne peut jamais prendre le contrôle du système d’ordre supérieur dont il dépend. (Fabian Scheidler)

Avant le capitalisme, partout dans le monde, grâce à un accès quotidien à la terre, aux outils ou à d’autres ressources, les gens produisaient à la fois des biens qu’ils consommaient eux-mêmes et ceux qui étaient accaparés par des seigneurs ou des maîtres de toutes sortes. Selon de telles modalités, l’échange monétaire ne pouvait représenter qu’une fraction réduite de la vie économique. Il a fallu un processus pluriséculaire durant lequel, en Europe, les producteurs agricoles – la grande majorité de la population, ayant divers droits et devoirs traditionnels d’utilisation de la terre et d’autres moyens de production – furent soit expulsés de leur terre, soit transformés en locataires payant des loyers, pour que soient jetées les bases de l’émergence de l’économie commerciale. La production de subsistance a, de plus en plus, fait place à la production de matières premières que les fabricants, qui employaient les gens nouvellement sans terre comme main-d’œuvre salariée, transformaient en produits commercialisables. (Paul Mattick Jr.)

Pour résister à la catastrophe en cours, la pensée doit inventer, se confronter à des formes de vie qu’elle connaît mal, à des cosmologies qu’elle n’avait jusqu’à présent jamais prises au sérieux. Et, assurément, il n’existe nul horizon univoque si ce n’est de soigner le monde et de donner à nouveau des raisons de croire en lui. La pensée n’est ni donnée à l’avance, ni condamnée à l’impasse. Elle est à trouver. C’est une pensée qui travaille à imaginer d’autres prémices, à tracer des voies qui échappent aux normativités dominantes, à construire des images du monde qui aient une valeur opérationnelle. (Romain Huet)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.