De l’hospitalité – Pour un monde commun

La notion d’hospitalité fut pendant des millénaires au cœur de l’histoire humaine et de ses civilisations. L’on peut même penser que, d’une certaine manière, elle est ce qui donna naissance et matière à cette histoire, permit l’extension d’une conscience du genre humain, donna l’ouverture nécessaire pour sortir de la sclérose de l’esprit due à l’enfermement sur soi et sur son immédiateté.

L’hospitalité est l’accueil, l’ouverture à tous les possibles contenus dans la différence. Elle est cette générosité et cette curiosité qui permettent de sortir de l’affrontement et de la guerre ; tout en étant aussi la porte pour sortir de sa propre solitude et de son enfermement. Elle est la possibilité du dialogue et du partage.

Au moment où cette notion d’hospitalité semble partout tomber en désuétude et où la haine et la peur de l’autre redeviennent la règle pour un nombre croissant de nos contemporains, il y a urgence à reconsidérer l’hospitalité dans toutes ses dimensions qui sont à la fois d’ordre personnelles et sociales. Il se pourrait fort bien en effet qu’avec sa disparition, ce soit toute notre humanité qui aille vers sa fin dans le même mouvement.

Il faut aussi s’interroger sur ce qui, dans les fondements même de la présente organisation sociale et mondialement, est la cause de cette disparition aux conséquences qui ne pourront être que dramatiques. Et sans doute y distinguerons-nous sans trop d’hésitations la marchandisation du monde et de la relation humaine, ses promoteurs et affidés de toutes catégories, mais aussi les nationalismes de tous poils qui, dans leurs perspectives mesquines, ont si bien œuvré et continuent d’œuvrer à cette destruction, à la séparation généralisée et à l’empêchement d’un monde commun.

On remarquera de même que dans un monde qui légitime le rejet de l’étranger, c’est tout un chacun qui finit par devenir un étranger pour l’autre et ce jusqu’à l’achèvement de toute communauté envisageable. Nous en mesurons d’ores et déjà les effets.

Essai sur le don de Marcel Mauss

Les hommes généreux et valeureux
ont la meilleure vie;
ils n’ont point de craintes.
Mais un poltron a peur de tout;
L’avare a toujours peur des cadeaux.

Le livre de l’Hospitalité de Edmond Jabès

Je me suis aperçu, un jour, qu’une chose m’importait plus que les autres : comment me définir en tant qu’étranger ? Je me suis aperçu, ensuite, que, dans sa vulnérabilité, l’étranger ne pouvait tabler que sur l’hospitalité dont ferait preuve, à son égard, autrui. Tout comme les mots bénéficient de l’hospitalité de la page blanche et l’oiseau, de celle, inconditionnelle, du ciel. Et c’est l’objet de ce livre. Mais qu’est-ce que l’hospitalité ?

Zeus hospitalier : Éloge de l’hospitalité de René Schérer

Il paraît, au contraire, singulièrement opportun à l’heure d’une mondialisation qui, au lieu de les dissiper, ravive les peurs et les conflits, de rappeler au monde que notre planète ne sera habitable qu’au prix d’une hospitalité universelle.
L’hospitalité, placée dans l’Antiquité sous un patronage divin, s’ouvre à l’imaginaire aussi bien qu’à la réflexion juridique. Et le philosophe Kant a vu en elle le principe même d’un droit international. Pourtant, les jugements hâtifs des politiques ont tendance à la reléguer, comme une survivance archaïque, dans les coulisses de l’histoire.
En la produisant en avant-scène, en l’exposant sous ses différentes formes, René Schérer rappelle que l’hospitalité excède le Droit qu’elle fonde, qu’elle assure le fonctionnement de tout rapport à autrui et à soi. Elle préside au processus d’une subjectivation tant individuelle que collective, tant esthétique qu’érotique ; substituant, à la crainte de l’étranger, la joie de l’accueillir.

Nous verrons donc, dans le vocabulaire hospitalier qui court sur son erre, une contamination du politique, puisque celui-ci est perpétuellement contraint de l’utiliser, même quand il impose à l’hospitalité un traitement qui la limite et la défigure. Car c’est bien effectivement d’hospitalité qu’il est question, lorsqu’il s’agit de définir les bénéficiaires du droit d’asile, l’accueil des réfugiés et des émigrés. C’est elle qui, à la manière d’un ferment critique, permet de faire éclater les contradictions du discours politique lorsqu’il forge des expressions comme celle d’hôtes indésirables, ou qu’il place l’hospitalité sous le signe de l’asile et de l’expulsion.
Il pratique l’inverse de l’hospitalité, mais il utilise son langage.

La fin de l’hospitalité de Guillaume Le Blanc et Fabienne Brugère

Nous avons parcouru l’Europe, de la « Jungle » de Calais au centre de réfugiés caché dans les hangars de l’aéroport de Tempelhof à Berlin. Nous avons vu des barbelés prospérer dans les prairies. Des murs pousser comme des champignons. Nous avons vu l’étranger cesser d’être un hôte pour devenir un ennemi, un barbare qu’il faut éloigner, repousser, ne plus voir. Toutes les civilisations anciennes s’accordaient sur un point : faire de l’étranger un hôte. Nous sommes en train de faire l’inverse, de transformer l’hôte en étranger. Jusqu’à quand ?

Le fait que des vies ne soient pas soutenues alors que d’autres le sont accrédite l’idée que toutes les vies n’ont pas la même valeur. L’impulsion hospitalière est suscitée par ces ontologies différenciées de l’humanité. Elle naît de la certitude sensible que n’importe quelle vie équivaut à n’importe quelle autre vie.

Politiques de l’hospitalité de Patrick Chemla

Reprendre une fois encore cet enjeu crucial de l’hospitalité dans ce moment de crise, traversé d’attaques aux fondements de la culture, nous conduit nécessairement à une prise de position politique. Comment passer sous silence l’insupportable montée du racisme et de l’antisémitisme, l’hostilité explicite envers les étrangers qui menaceraient tellement l’identité nationale qu’il faudrait les expulser sans cesse ? Se trouve ainsi ravagée toute une tradition du droit d’asile et des lois de l’hospitalité qui sont au fondement même du lien social et des processus de symbolisation. Ce que l’anthropologie a pu reconnaître et investiguer en termes d’éloge du don et du potlatch, de la régulation qu’opère aussi le sacrifice rituel dans la religion monothéiste, tous ces montages textuels et sociaux se trouveraient déniés par une lame de fond que l’on dit «postmoderne». Un tel contexte où la haine de l’étranger vient à se dire de façon de plus en plus explicite ne peut qu’exacerber la peur et l’aversion envers le différent, et retentir dans nos pratiques d’accueil de la folie. Quand un magistrat, Serge Portelli, vient nous dire que nous serions dans un «État limite», dans la hantise d’un État autoritaire qui pourrait produire des ravages inédits, nous aurions intérêt à nous sentir pour le moins concernés, si ce n’est menacés par de telles dérives. Ce qui s’énonce comme une politique sécuritaire prend le visage précisément de la rupture avec une tradition d’accueil et de soins qu’il ne s’agit pas d’idéaliser, mais qui au moins ne mettait plus en avant, depuis les avancées du secteur et de la psychothérapie institutionnelle, ces idéaux de contrainte et de «soins sans consentement» qui reviennent aujourd’hui sans vergogne. Cette rupture s’opère, parée maintenant des vertus présumées d’une déshospitalisation qui se trouve pervertie, en rejetant les patients à la rue ou en les condamnant à la prison.

Ce qu’ils font est juste de Collectif

L’étranger est par essence louche, suspect, imprévisible, retors, de taille à commettre des avanies, même s’il survit dans le plus profond dénuement, s’il souffre de la faim, du froid, qu’il n’a pas de toit pour se protéger. L’étranger, homme, femme ou enfant, représente toujours un danger, qu’il faut combattre à tout prix. La loi dispose que  » toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France  » encourt jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Cette sanction pénale est réservée aux  » aidants  » désintéressés, animés par le seul élan d’humanité et de dignité vis-à-vis d’eux-mêmes et de ceux voués à tout juste subsister. Ils ont choisi, en connaissance de cause, de commettre ce qu’on appelle le  » délit de solidarité  » ou  » d’hospitalité « . Des expressions devenues familières, dans leur obscénité, depuis qu’on a vu traduits devant les tribunaux des  » désobéissants « , paysans, professeurs, élus municipaux, citoyens bienfaisants coupables d’avoir, sans contrepartie d’aucune sorte, secouru, protégé, rendu service à des hommes, femmes et enfants qui n’avaient pas l’autorisation de fouler la terre française.

Manifeste pour l’hospitalité de Mohammed Seffahi

En une époque caractérisée par une entropie généralisée, nous en sommes venus à oublier, dans notre usage du quotidien, que l’hospitalité revient à user, avant les mots et les codes sociaux, une éthique de l’Autre. L’Autre en face de moi n’est pas une figurine destinée à disparaître dès que la rencontre aura cessé. À partir d’une démarche active, la présence de Jacques Derrida et la participation de Michel Wieviorka, nous avons tenté de montrer comment dans la recherche d’une hospitalité s’opère la recherche de l’équilibre social : Une hospitalité sans condition appelle à une réinvention de l’hospitalité, une hospitalité inventive, dont les textes ici réunis montrent qu’elle n’est pas seulement un droit à l’hospitalité mais l’éthique même de l’hospitalité : la paix.

Chroniques d’exil et d’hospitalité de Olivier Favier

L’auteur est historien, traducteur, reporter, blogueur et a passé trois ans au contact des migrants ; il a réuni une trentaine de chroniques récits, analyses, portraits, reportages… – qui décrivent à la fois les traversées des uns et des autres, les lois européennes, les conditions d’accueil à Calais et ailleurs… Les articles qui composent cet ouvrage ont été rédigés entre octobre 2013, deux ans avant qu on ne commence à parler de la « crise migratoire », et mars 2016, au lendemain du démantèlement de la zone sud du bidonville de Calais. Un livre à l’écriture sensible et mordante, agrémenté de photographies, qui brosse un tableau lucide et documenté des migrations et des conditions d’accueil en France de ceux qui ont tout quitté dans l’espoir d’une vie nouvelle. On ne trouvera pas dans ce livre d’invitation à la pitié. Dès la première chronique, écrite en octobre 2013, Olivier Favier a voulu placer le lecteur du côté de celui qui part, afin de faire entendre tout ensemble des raisons et des rêves, des souffrances et du courage.

Le Livre de l’hospitalité Accueil de l’étranger dans l’histoire et les cultures Collectif

Nos sociétés contemporaines, à l’heure de la mondialisation, ont-elles perdu le sens de l’hospitalité ? Considérant qu’il est urgent de retrouver cette mémoire hospitalière du monde humain, plus de quatre-vingt-dix auteurs du monde entier ont rassemblé leurs savoirs des us et coutumes, des lieux, des cultures, des représentations, des mythes et des œuvres d’art qui font de l’hospitalité la plus indispensable des valeurs humaines. Philosophes, historiens, ethnologues, littéraires, linguistes… invitent le lecteur, leur hôte, à découvrir le vaste parcours ouvert des significations et des pratiques de l’accueil dans l’histoire culturelle.

Le dire de l’hospitalité de Lise Gauvin

Toute invitation est un code, liée à un système discursif. Aussi le langage de l’hospitalité est-il ici objet d’analyses. Non seulement il s’agit d’un langage ambigu, inscrit dès le départ sous le signe de l’ambivalence (ainsi qu’en témoigne le double sens du mot  » hôte « ), mais la question se pose de la langue dans laquelle l’étranger s’adresse et celle dans laquelle nous le recevons. L’invitation, l’accueil, l’asile, l’hébergement passent par l’adresse à l’autre. C’est cette parole, entre le dit et le non-dit, l’implicite et l’explicite des discours codés, une parole non encore figée ou réifiée, une parole en tension vers l’autre, parole de l’entre-deux qui est ici éclairée à travers les témoignages et de nombreux textes littéraires.

Qu’est-ce que l’hospitalité ? de Joan Stavo-Debauge

L’hospitalité est une qualité qui concerne la totalité des domaines de notre existence, privée comme publique, et se dit aussi bien de nos rapports aux personnes que de nos rapports aux choses, aux événements, aux environnements et aux situations : hospitalité que l’on attend d’espaces publics urbains accessibles ; hospitalité de la communauté politique, que l’on juge sévèrement lorsqu’elle se raidit ; hospitalité du marché du travail que les discriminations mettent à mal… Cet ouvrage s’attache aux mouvements de l’étranger qui vient à la communauté, mettant en question l’hospitalité de cette dernière et interrogeant la façon dont l’appartenance s’y éprouve.

Le couloir des exilés : Être étranger dans un monde commun de Michel Agier

Un conflit est ouvert à propos de la liberté de circuler et de la possibilité pour chacun de trouver une place dans un monde commun. Arrêtées par les murs et les législations protectionnistes des États-nations, des millions de personnes ne trouvent plus le lieu d’arrivée de leur voyage, et n’ont pas non plus d’autres ailleurs où aller pour se protéger, se reconstruire, revivre. Dans cet exil intérieur, de nouveaux lieux,  » hétérotopiques « , apparaissent, se développent et se fixent, et avec eux une nouvelle conception de l’étranger, celle de l’indésirable au monde. La frontière, le camp, la jungle ou le ghetto dessinent cette nouvelle topographie de l’étranger : un couloir des exilés se forme, ou règnent l’exception, l’exclusion et l’extraterritorialité, mais où parfois des transformations sociales ont lieu, où la marge devient refuge, à nouveau habitable et même vivable. Sur le chaos du présent s’inventent des mondes à venir… Face aux politiques de la peur et de l’enfermement, l’anthropologue Michel Agier défend une cosmopolite de l’hospitalité, seule à même de fonder une  » anthropologie monde « , qu’il conçoit comme une pensée des rencontres et des reconnaissances de l’autre, « avec le monde commun en tête « .

Le Don d’hospitalité de Revue du M.A.U.S.S.

Qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs , tout parait se passer comme si les étrangers ne méritaient d’être reçus qu’à condition de monnayer leur présence, d’être un peu de chez nous ou de constituer « une chance économique » pour des nations vieillissantes. A ce titre, la manière dont les états européens ont choisi de fermer leurs frontières aux hommes et femmes fuyant les guerres et les famines est pour beaucoup le symptôme d’une profonde misère morale de nos pays riches.

Voir venir – Écrire l’hospitalité de Marie Cosnay et Mathieu Potte-Bonneville

Cette correspondance entre deux auteurs impliqués à titre personnel depuis plusieurs années dans l’accueil de migrants chez eux (à Paris et à Bayonne) est habitée par le pressentiment que nous sommes en train de vivre une catastrophe : celle d’une Europe « devenue criminelle », déployant une politique aussi absurde que cruelle en matière d’immigration, et laissant mourir des milliers de personnes dans l’indifférence quotidienne.

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