Il faut « sortir » du capitalisme mais je ne vous dirais pas comment

Dans la Préface à la deuxième édition allemande du Capital en réponse au reproche de s’être « borné à un simple démontage critique du donné » Marx, disait ne pas « formuler des recettes pour les gargotes de l’histoire ».

Qu’est-ce que tu proposes ?

J’ai publié un certain nombre de billets sur mon blog qui proposaient des analyses de divers aspects de la quadruple crise du capitalisme (économique, sociale, écologique et anthropologique) et dont la principale conclusion était la nécessité de « sortir » du capitalisme, les guillemets accolés à la « sortie » indiquant qu’il s’agissait davantage d’un objectif que de l’exposé d’un moyen pratique qu’il aurait suffi de mettre en œuvre.

Et j’expliquais que cette « sortie » n’était pas le franchissement d’un seuil comme on sort d’une pièce, mais un processus, soit le contraire d’un grand soir. Un processus évidemment complexe et d’ailleurs en cours, mais qui se traduit pour l’instant par un approfondissement de toutes les dimensions de cette crise multiple orientant cette « sortie » vers le pire. C’est comme cela qu’on peut interpréter les dettes publiques sans cesse croissantes, le changement climatique qui s’accélère1 et la biodiversité qui continue à se réduire, la dégradation des conditions de travail et des services publics et des électeurs de plus en plus nombreux qui se tournent vers les droites extrêmes2.

Bien sûr, il ne suffit pas de dire qu’il faut « sortir » du capitalisme pour que ça se produise, ni même pour que le processus vers une « sortie » vers le haut s’enclenche, mais ce n’est pas une raison pour faire l’autruche et laisser le monde continuer sur le chemin qu’il est en train de suivre sans réagir ou continuer à croire qu’une régulation d’un capitalisme le rendant plus social et plus écologique soit possible et qu’il sortira autre chose qu’un texte lénifiant, promettant une fois de plus un engagement sans faille des États à la COP de Bakou3.

Car tant qu’émettre une tonne de carbone, extraire un baril de pétrole ou licencier un travailleur seront rentables dans le mode de production capitaliste, la tonne sera émise, le baril sera extrait et le travailleur sera licencié.4

Pourtant, de nombreux commentaires sur mes textes me reprochent de « ne pas faire avancer le schmilblick »5 en me « contentant » de dire qu’il faut sortir du capitalisme. Oui bien sûr, mais qu’est-ce que tu proposes m’oppose-t-on ?

J’en ai aussi souvent fait l’expérience, lors de conférences publiques où je présentais mon livre Le climat ET la fin du mois qui défend la thèse de la responsabilité du capitalisme dans le changement climatique et avance cette nécessité d’une « sortie » de ce mode de production et de consommation. Et ce, même devant des publics a priori convaincus que le monde va mal et que des changements sont indispensables, comme lors d’une conférence organisée par les économistes atterrés, à Paris 1 au Panthéon un samedi après-midi, où des rires ont immédiatement suivis mon affirmation de la nécessité de « sortir » du capitalisme.

Ou encore très récemment, lors d’un séminaire que je donnais à l’université d’Evry au département d’économie, c’est l’incrédulité et l’incompréhension qui ont été les réactions les plus nombreuses, ces (jeunes), économistes n’imaginant pas que la société puisse fonctionner autrement qu’elle le fait actuellement alors que s’accumulent pourtant les preuves de ses dysfonctionnements. Et c’est évidemment ce que pensent la plupart des gens et tout particulièrement les plus pauvres qui aspirent à une vie meilleure qui leur apparaît être celle de ceux qui n’ont pas de problèmes de fin de mois.  D’où leur réticence à accepter les discours sur la « sortie » du capitalisme qu’ils assimilent au renoncement à leurs espérances (légitimes) d’amélioration de leur sort. Une grande majorité de gens semble penser que la consommation ne peut exister que sous les formes où elle existe aujourd’hui. Et il en est de même pour la production qui repose sur une division du travail tellement poussée que tout autre système d’organisation semble impossible, en particulier en ce qui concerne la hiérarchie, se traduisant notamment pas l’idée répandue que des chefs seront toujours nécessaires. Une idée complaisamment entretenue par les « élites » qui y voient à peu de frais une justification de leur domination.

La raison de ce scepticisme est toujours la même. On ne conçoit pas qu’il puisse exister une société différente avec deux justifications principales : l’échec du « communisme » qui prouverait définitivement l’absence d’une alternative, ou la résilience du capitalisme à chaque fois qu’il parait atteindre des limites, démentant ainsi tous ceux qui prédisaient sa fin prochaine. Il est donc nécessaire de les examiner de près pour mieux juger de leur pertinence.

L’échec du « communisme » est-il la preuve du triomphe du capitalisme ?

Il faut noter que l’échec du « communisme » (qui permet de renvoyer Marx immédiatement aux poubelles de l’histoire6), n’existe que si on nomme « communisme » l’expérience soviétique ou le mode de production que connaît aujourd’hui la Chine.

Cette objection classique, qu’on pourrait appeler la « preuve par l’URSS » ne repose que sur une appréciation superficielle de la nature réelle du régime soviétique. Car l’URSS n’a été qu’une forme particulière de capitalisme et non un mode de production fondamentalement différent. Le capitalisme, et c’est comme cela qu’il se définit, c’est un rapport social de production où il y a séparation entre les propriétaires des moyens de production (une très petite minorité) et les autres qui se trouvent forcés de vendre leur force de travail aux premiers se trouvant ainsi subordonnés à leurs décisions et sans aucun contrôle sur ce qu’ils font7. De ce point de vue, considérer que l’URSS n’était pas capitaliste c’est confondre sa forme juridique et la permanence de son rapport réel de production où une petite oligarchie prenait toutes les décisions. Il y avait là aussi séparation entre propriétaires des moyens de production et les autres même si les « propriétaires » n’étaient pas juridiquement reconnus comme tels. Finalement, l’URSS n’a été, à partir d’un niveau de développement initial très inférieur à ce qu’il était dans les pays capitalistes de l’Ouest, que la mise en place d’une tentative de rattrapage économique du capitalisme occidental, sous un déguisement constitutionnel qui déclarait le « peuple » propriétaire des moyens de production8. Et c’est aussi le cas en Chine aujourd’hui qui est une autre forme de capitalisme où le rapport social qui le constitue est toujours présent. Et s’il en fallait une dernière preuve, il suffit de mentionner la vitesse à laquelle l’oligarchie présente en Russie actuellement s’est constituée après la dissolution de l’URSS composée pour l’essentiel d’anciens cadres dirigeants. C’est justement parce que le même rapport social restait présent et changeait simplement de forme juridique que les anciens cadres se déclarant communistes, mais « propriétaires » de fait ont réussi en quelques années à devenir propriétaires de droit.

Parler d’échec du « communisme » c’est finalement donner raison à Margaret Thatcher et à son TINA en lui accordant un sens universel et pas seulement réduit à une politique conjoncturelle particulière.

Cette fermeture du futur que sous-entend le TINA, est caractéristique de la phase actuelle du capitalisme dominé par les politiques néolibérales, et est longuement analysée par Jérôme Baschet dans Défaire la tyrannie du présent, où il le désigne comme un présentisme « qui n’est pas un pur présent, mais un présent happé par l’instant d’après » en homologie avec le rôle de la finance dans l’économie où « l’anticipation financière, opère une quasi-fusion entre présent et futur immédiat, qui est le propre de la dictature de l’urgence ». Ce « présentisme » réduit le passé à sa célébration mémorielle (comme l’illustre jusqu’à saturation Emmanuel Macron qui ne cesse de commémorer un passé réduit à quelques clichés, comme le montrent les panthéonisations prochaines de Marc Bloch et de Robert Badinter, les cinquième et sixième sous sa présidence), et ne voit le futur que comme la continuité immédiate du présent en cours, tout entier dédié à la création de valeur, faisant du capitalisme la « fin de l’histoire », c’est-à-dire la seule société possible. Où l’on retrouve la seconde justification de l’impossibilité d’en sortir.

Le capitalisme est-il éternel ?

Cette croyance se construit sur le constat que, tel un phénix, c’est quand plus rien ne va que le capitalisme trouve le moyen de reprendre le chemin de l’accumulation sans fin en changeant de mode de fonctionnement. New-deal et keynésianisme après la crise de 1929, fordisme et consommation de masse après la seconde guerre mondiale, néolibéralisme et marchés financiers au tournant des années 1970 marquées par la crise pétrolière, l’abandon de l’étalon-or, la stagflation9 et le recours à la finance, ce « commerce des promesses » pour reprendre la formule de Pierre-Noël Giraud10. Un nouveau cycle qui prendra fin avec la crise des subprimes en 2007-2008 et auquel succède l’explosion des marchés financiers que nous connaissons aujourd’hui, soutenus cette fois-ci par les États et les banques centrales à la place des entreprises privées défaillantes11.

Un regard vers le passé montre pourtant qu’il a existé des sociétés fonctionnant sur de tout autres principes que notre société moderne. Jérôme Baschet12, historien spécialiste de la civilisation féodale, le montre clairement quand il se demande Quand commence le capitalisme ? dans son dernier livre13. Il note que deux conditions doivent être remplies pour qu’on puisse parler de capitalisme : d’une part que « le capital déborde le domaine des activités commerciales et du prêt à intérêt pour s’emparer de la sphère productive » constituant ce rapport de production qui le caractérise, et, d’autre part « que l’amplification des rapports capitalistes de production et l’ensemble des exigences du capital ont alors des effets déterminants sur l’organisation sociale dans son ensemble et sur les mécanismes qui en permettent la reproduction ». Deux conditions qui n’étaient pas remplies au temps du féodalisme ou dans l’Antiquité. C’est aussi l’avis d’Ellen Meiksins Wood, dans son livre14 sur L’origine du capitalisme qui montre que le marché avant l’avènement du capitalisme permettait aux marchands de faire du profit au moment de l’échange, en revendant les biens plus chers que ce qu’ils avaient payé pour les acquérir, mais que le profit capitaliste se faisait au moment de la production, le marché n’étant plus que le lieu de sa réalisation (ou pas). Et ce passage d’une société féodale marquée par des agents aux statuts différents et inamovibles (les seigneurs, les prêtres et les serfs, une société en trois classes pratiquement étanches les unes aux autres), vers une société où les serfs sont devenus des travailleurs « libres » ne s’est pas fait spontanément. Car cette « liberté » impliquait qu’ils ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins sans se présenter sur un marché du travail, subordonnant ces travailleurs à des donneurs d’ordre qui contrôlaient les moyens de production. Et cette institution, inexistante sous le féodalisme, a dû se développer par la contrainte étatique. Aux débuts du capitalisme, les premières fabriques firent faillite, parce que, comme nous l’apprend Max Weber dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme15, l’ouvrier « ne se demandait pas : combien puis-je gagner par jour si je fournis le plus de travail possible ? mais : combien dois-je travailler pour gagner les 2,50 marks que je recevais jusqu’à présent et qui couvrent mes besoins courants ? ». Il a fallu une véritable révolution du mode de vie, des valeurs et des rapports sociaux pour rationaliser économiquement le travail, c’est à dire pour qu’il devienne un simple moyen de gagner un salaire. Il faut lire le chapitre VIII du Capital sur La journée de travail pour se rendre compte des luttes qui ont été menées pour en définir les limites. Marx y relate l’émergence progressive d’une législation sur la durée d’une journée de travail « normale » à partir de la Loi sur les fabriques de 1833 en Angleterre qui statue que « la journée de travail ordinaire dans une fabrique doit commencer à 5 heures et demie du matin et finir à 8 heures et demie du soir », le travail des enfants entre 9 et 13 ans étant limité à 8 heures par jour. Au terme de « luttes de classes de longue haleine », la journée de travail fut progressivement ramenée à 12 heures de 1844 à 1847 puis la Loi additionnelle sur les fabriques de 1850 étendit la durée légale de la journée de travail à tous les ouvriers dans les industries concernées pour être appliquée ensuite en 1860 à d’autres industries (blanchisseries, teintureries…).

La suite de l’histoire des conquêtes sociales et de leurs conséquences (consommation de masse, congés payés, Sécurité sociale…) montre que le capitalisme se transforme et pourrait donner raison à ceux qui l’imaginent éternel parce qu’ils y voient la preuve de sa résilience.

Finalement, depuis l’avènement du capitalisme devenant dominant dans la seconde moitié du 19ème siècle en Occident, le monde n’a pas connu d’autre mode de production.

La « sortie » du capitalisme est donc d’abord difficile parce qu’elle paraît impossible et même de plus en plus impossible au fur et à mesure que l’univers de la marchandisation de toutes choses s’étend à toutes les dimensions de la vie.

Le coût de la résilience du capitalisme

La conséquence de cette croyance en la résilience du capitalisme c’est l’approfondissement de la quadruple crise qu’il connaît qui renforce encore le sentiment d’impuissance à agir, mais aussi la demande pressante de donner une solution et le reproche à ceux qui insistent sur la nécessité d’une « sortie » du capitalisme de ne pas le faire. Car le capitalisme est en train d’épuiser la nature et le travailleur comme le notait Marx.

L’épuisement de la nature ne cesse de faire l’actualité, mais ne suffit pourtant pas à susciter des réactions à la hauteur de l’enjeu, tandis que celui du travailleur reste largement sous les radars, quand il est d’importance au moins égale et illustre le même processus de dégradation croissante et de point d’appui pour la croyance à la faculté d’adaptation du capitalisme, ce qui renforce évidemment le sentiment d’une « sortie » impossible.

On le voit particulièrement bien sur les conséquences de l’intensification du travail sur la santé des travailleurs.

En 2019, l’OMS a intégré le burnout dans le Classement International des Maladies en préparation (CIM-11) comme une maladie professionnelle. L’épuisement professionnel touchant surtout les urgentistes et les psychiatres, mais sa généralisation à de nombreux secteurs professionnels (rien qu’en France, ils sont plus d’un million chaque année), a conduit l’OMS à faire cette proposition. Le CIM-11 est en discussion depuis 2007 et il comporte 55 000 codes, contre 14 400 pour le CIM-10 et il n’est toujours pas adopté en 2024. Bien entendu, pour qu’une maladie professionnelle soit reconnue, il faut qu’elle apparaisse statistiquement, mais elle fait aussi l’objet d’une lutte pour la faire reconnaître par le patronat, comme le raconte Jean-Baptiste Fressoz dans L’apocalypse joyeuse où il relate les conséquences sanitaires de l’industrialisation de la France à partir de Napoléon, en particulier pour les manufactures de soude qui engendrent immédiatement des plaintes dès leur installation. Mais les conséquences sanitaires de ces installations sur les ouvriers sont d’abord jugées dues à leurs habitudes et manières de vivre et pas à leur environnement de travail. On a donc cherché à moraliser les ouvriers et augmenter éventuellement leurs salaires mais pas à modifier le mode de fonctionnement des usines. Finalement, l’industrie chimique très polluante instaurée dans les années 1800-1820 n’a été possible qu’en étant imposée par le gouvernement au nom de la prospérité nationale, contre l’intérêt des citadins vivant dans un environnement pollué et au profit d’une minorité de manufacturiers proches du pouvoir. Avec l’aide de chimistes comme Chaptal (par ailleurs propriétaire de manufactures d’acide), qui défendait l’industrie en assurant dans un rapport d’expert que l’industrie des « acides est arrivée à la perfection puisque (…) il n’y a pas un atome de soufre perdu dans l’opération ». Ainsi, la manufacture serait nécessairement propre puisque l’entrepreneur a intérêt à éviter toute perte de matière cause de perte financière, ce qui fait écrire à Charles-Louis Cadet de Gassicourt dans un rapport sur l’usine de Neuilly de Chaptal que « L’intérêt particulier devant porter à ne pas perdre des vapeurs, la fabrique (…) ne peut donner lieu à aucune plainte raisonnable. Si par la suite les propriétaires voisins en étaient incommodés, ce serait entièrement la faute des ouvriers ». Et 1834 voit la création des Annales d’hygiène publique et de médecine légale dont l’objectif est de prouver que dans bien des circonstances des établissements peuvent être « incommodes » sans être insalubres. CQFD.

Par ailleurs, et on retombe ici sur la capacité de rebond du capitalisme, l’augmentation des maladies liées au travail est telle qu’elle lui a permis de développer une réponse marchande à cette souffrance, à base médicamenteuse ou comportementale avec le développement personnel et les initiatives de joie au travail. Sandra Lucbert note dans son superbe livre Personne ne sort les fusils, relatant le procès France Telecom, exemplaire de ce que le management en entreprise peut faire aux travailleurs, que le Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders (DSM), « invente des maladies à mesure que de nouvelles tortures de management apparaissent. Plus on crée de nouvelles tortures, plus le DSM invente des « troubles« . Plus le management démolit les gens, plus le retour sur investissements des Pharmaceuticals augmente ». Enfin, il faut souligner que la reconnaissance d’une maladie due au travail fait toujours l’objet de luttes pour leur reconnaissance. En attendant que le burnout apparaisse comme tel dans le CIM-11, il reste pour l’instant en France, une maladie à caractère professionnel (comme les troubles musculo-squelettiques (TMS), en forte augmentation également), et non une maladie professionnelle. Nuance subtile impliquant une prise en charge différente, qui conduit à une sous-déclaration de ces cas par les salariés (75% des TMS ne font pas l’objet d’une déclaration)  « principalement en raison de la méconnaissance de la procédure par le salarié avant la consultation avec le médecin du travail et d’un bilan diagnostic insuffisant » souligne Santé publique France dans une étude publiée en 202316.

On se retrouve vite coincé dans une impasse. L’évidence de plus en plus grande de ces coûts ne peut que faire croître la volonté de changement, mais, en même temps, croît le reproche fait à ceux qui insiste sur cette crise de ne pas expliquer comment faire pour la résoudre.

Et ce n’est peut-être pas par hasard si c’était ce même reproche de ne pas « formuler des recettes pour les gargotes de l’histoire » qui était fait à Marx à la publication du Capital faisant preuve de la même demande de solution, alors qu’il montrait précisément les contradictions de ce mode de production et initiait une critique de l’économie politique au moment même où elle commençait à s’affirmer comme science. Ce qui diffère d’aujourd’hui, c’est qu’au temps de Marx ce reproche n’était le fait, en 1868, que d’une revue La Philosophie positive, à l’occasion d’un bref compte-rendu de son livre qui n’a sans doute pas eu de très nombreux lecteurs et non l’expression d’une demande qui s’exprime maintenant à l’échelle de la planète (même si elle reste encore minoritaire ou si c’est sous des formes dévoyées comme chez les politiques ou les chefs d’entreprises qui se sentent obligés de professer des engagements écologistes tout en continuant sur la même trajectoire).

Il faut donc bien répondre à ce reproche, même si c’est pour justifier l’impossibilité de dire « ce qu’il faut faire ».

Il n’existe pas de sauveur suprême

Faisons une expérience de pensée : imaginons que survienne un individu qui expose à tous le « système »17 qui doit remplacer le capitalisme. Combien seraient prêts à le suivre sans hésiter ? Et quand à peu près tout dysfonctionne, comment penser qu’il puisse exister un individu assez omniscient pour penser une société future qui offre à tous une vie meilleure ?

Si cette société peut un jour exister, elle suppose de se défaire de l’emprise de l’Économie comme critère unique de nos actes ce qui est loin d’être le cas pour l’instant et qui fait dire à Jérôme Baschet qu’« on ne peut que maintenir sans réponse nette la question suivante : qu’est-il possible d’expérimenter , au beau milieu du système-monde capitaliste, qui néanmoins échappe en partie et assez pour en valoir la peine, à l’emprise de ses déterminations »18.

La solution ne peut pas être dans une feuille de route qu’il n’y aurait qu’à suivre (ce qui relativise fortement ce que l’on peut attendre d’une planification trop impérative). Pas plus qu’elle ne peut consister à proposer les « bonnes » politiques économiques, restant ainsi dans l’illusion qu’une régulation du capitalisme serait possible19. Comprendre le capitalisme en tant que rapport social de production et prendre la mesure de ce qu’il impose sur la nature et les subjectivités en transformant tout en marchandises, ne peut que chercher à en sortir avant qu’il ne soit trop tard (et pour l’instant ce n’est pas ce qui se passe, le rythme auquel se poursuivent les impacts environnementaux s’accélère et nous rapproche du franchissement de seuils d’irréversibilité).

Ce constat nous donne une première direction à suivre qui est celle d’une lutte d‘idées visant à augmenter le nombre de ceux qui seraient conscients de la nécessité d’une « sortie » en faisant apparaître tous les dangers vers lesquels le capitalisme nous entraîne. Avant de savoir où l’on va, il faut d’abord savoir ce que l’on refuse à tout prix. Car ne pas pouvoir dire « ce qu’il faut faire » ne signifie pas qu’il ne faut rien faire. A ce stade, on ne peut qu’espérer qu’une prise de conscience suffisamment partagée par un nombre important de personnes pourrait susciter des luttes débouchant sur des ruptures décisives, mais préjuger des formes organisationnelles que ces luttes pourraient prendre aurait toutes les chances de n’être que pure spéculation et d’être rapidement démenti par les luttes réelles (si jamais elles voient le jour). Tout au plus peut-on constater que les institutions actuelles d’organisation politique ou syndicale qui affichent une opposition aux politiques économiques néolibérales semblent assez largement incapables de les impulser. Les premières sont quasi exclusivement orientées vers une conquête électorale du pouvoir d’État dans les pays capitalistes dominants et là où elles l’ont obtenu n’ont pas réussi (si même elles l’ont tenté), à mettre en œuvre des transformations significatives s’inscrivant clairement dans une rupture sociétale. Ce qui a évidemment fortement affaibli leur crédibilité à proposer une alternative auprès des électeurs20. La montée des abstentions, phénomène mondial dans les pays dits démocratiques, est un des signes de ce phénomène, un autre en étant l’élection d’extrémistes (de droite), qui apparaissent une alternative parce qu’ils sont les seuls à ne pas avoir été essayé (comme Milei en Argentine et peut-être Le Pen en France). Quant aux autres pays capitalistes moins développés, ce type de formation politique d’opposition reste pour l’instant assez loin de pouvoir envisager une prise de pouvoir par les urnes. Les secondes, sont essentiellement concentrées sur une redistribution moins inégalitaire des richesses sans remettre en cause les structures dans lesquelles ces richesses sont produites et sont donc très loin de penser à « sortir » du capitalisme. Pour l’essentiel, les institutions d’une « sortie » du capitalisme restent à inventer et elles seront nécessairement dues à des initiatives collectives. On peut voir les Gilets jaunes et les ZAD en France, le mouvement Occupy Wall Street à New York, le mouvement Zapatiste au Chiapas, comme des exemples (et non des modèles à imiter), plus ou moins réussis de tentatives d’organisation hors des formes dominantes hiérarchiques sous lesquelles les institutions se constituent21.

Dans ce billet déjà bien long, il n’est pas possible de détailler l’ensemble des idées qu’il est nécessaire de remettre en cause tant elles font obstacle à la crédibilité d’une « sortie » du capitalisme.

Parmi ces idées, une me semble essentielle, c’est celle qui naturalise la consommation sous la forme qu’elle a prise sous le capitalisme. Il est compréhensible que les craintes sur une baisse de la consommation soient celles qui viennent immédiatement à l’esprit quand on suggère que notre mode de vie n’est pas durable. Aussi bien pour ceux qui ont déjà accès à un niveau « satisfaisant » (pour eux et qui craignent de le perdre) que ceux qui espèrent l’atteindre (et qui craignent de ne pas y arriver si on parle de sobriété). C’est d’ailleurs un argument répété à l’envi par les élites au pouvoir pour déconsidérer les propos de ceux qui veulent le changement.

Finalement ce qui est important c’est moins le niveau du PIB que son contenu et la manière de le produire (le rapport de production). Et si ce contenu est sous le contrôle à la fois des producteurs directs qui le créent et de la collectivité qui évalue son impact global (sous des formes qui se trouveront dans le mouvement et qu’il est vain de vouloir anticiper, mais qui impliquent sans doute un minimum de « planification ») et donc qui prend en compte en particulier les contraintes écologiques, on peut espérer construire collectivement des conditions de vie meilleures où le but n’est plus l’accumulation sans fin mais l’enrichissement des personnalités.

Ce qui pose aussi la question de ce que l’on nomme « travail » en distinguant le travail contraint pour produire tout ce que la société considère comme essentiel à la survie (subsistance, logement, …) et celui, qu’il serait judicieux de ne pas nommer « travail », et dont Keynes parlait dans sa lettre à ses petits-enfants. La réduction du temps de travail contraint est un des enjeux fondamentaux et on voit aujourd’hui avec la volonté de l’étendre le dimanche ou les réformes des retraites à quel point c’est une lutte décisive pour « sortir » du capitalisme. Les « élites » au pouvoir ne s’y trompent pas.

Quant aux formes que peut prendre cette production dans de nouveaux rapports et dans un temps qui lui est consacrée différent (moins long pour tous ceux qui ont aujourd’hui un travail de plus en plus déshumanisant), je ne m’avancerai pas n’ayant aucune prédisposition à prévoir l’avenir, mais ce ne sera assurément pas sous les formes actuelles et il y aura sans doute des essais et des erreurs, mais je fais confiance ici à l‘inventivité des travailleurs qui n’auraient plus à répondre à des donneurs d’ordre.

Qu’on songe par exemple à la Commune, où en 44 jours et tout en faisant la guerre, elle a organisé le ravitaillement, mit en marche les administrations, assurer la sécurité dans les rues et les soins aux blessés, réorganisé la production en en confiant la gestion aux travailleurs, soumis les marchés publics à des contraintes strictes, séparé l’Église et l’État, mit en place un enseignement primaire et professionnel laïque et gratuit, envisagé la révocation des élus et bien d’autres innovations dont certaines ont été finalement acceptées des dizaines d’années plus tard et après de longues luttes par la République et dont d’autres, comme l’égalité salariale homme/femme, attendent encore.

Il y a là un motif d’optimisme sur la capacité d’un peuple à parvenir à se rendre maître de son destin.

Enfin, il faut bien comprendre que lutter contre le capitalisme, c’est agir pour changer son rapport social, en particulier en remettant en cause la propriété privée des moyens de production. Non pour « supprimer » les riches, ou tout autre groupe jugé responsable, car

être riche n’est pas un statut social, c’est la conséquence d’un rapport social quand les plus riches, (car on n’est jamais riche que relativement), le sont au-delà de l’imaginable pour tout un chacun, (un rapport publié en 2018, indiquait que les trois familles les plus riches aux USA, avaient vu leurs fortunes augmenter de 6000% en 35 ans quand le revenu médian avait baissé de 3%)22.

C’est l’accumulation sans fin du capital entre un nombre de mains très restreint qui explique ces inégalités. Il ne s’agit donc pas de supprimer les (vraiment) riches, mais de s’attaquer à la cause qui les engendrent.

Ce qui amène à remettre en cause une autre idée qui est régulièrement mise en avant pour justifier de l’impossibilité d’une « sortie » du capitalisme c’est celle d’une « nature humaine » éternelle qui aurait finalement trouvé son aboutissement dans le capitalisme, la seule forme d’organisation sociale qui lui permette de s’exprimer complètement en donnant libre court à toutes les composantes qui seraient inhérentes à cette « nature humaine » éternelle (égoïsme, appât du gain, volonté de puissance, maîtrise de la nature…).

On ne naît pas avec « sa » nature, « son » caractère, « ses » idées, mais dans un monde déjà humain où nous devons acquérir ce qui est déjà là et sans quoi nous ne le deviendrions jamais, (le langage, les normes sociales, les manières de faire, …).

Tout ce qui n’est pas « inhérent à l’individu isolé », mais existe dans « l’ensemble des rapports sociaux » comme le dit Marx dans la sixième Thèse sur Feuerbach que Lucien Sève a passé une grande partie de sa vie à développer.

Une lectrice d’un de mes billets précédents, Laurebemi, écrivait fort justement « le capitalisme est un mode de production, c’est-à-dire un type de société globale, de totalité sociale, qui se développe sur la base de rapports de production déterminés, en donnant naissance à des formes de société civile et des institutions juridiques, administratives, politiques, ainsi qu’à des formes de conscience (morales, religieuses, philosophiques) originales parce qu’appropriées à ces rapports de production23 ». Et effectivement, les formes de conscience qu’on a trop tendance à croire naturelles, innées, ne sont que les conséquences des rapports sociaux capitalistes qui tendent à formater les humains dont il a besoin pour « persévérer dans son être » (à commencer par en faire un consommateur, ce que l’extension de la marchandise à tout ne peut que contribuer à consolider24).

Et comment ne pas être frappé par ce qu’on appelle la montée de l’individualisme, depuis quelques dizaines d’années, en parallèle avec la transformation des travailleurs en autoentrepreneurs, si favorable à l’auto-exploitation, facilitée par le déploiement du numérique et tout récemment de l’incitation au télétravail qui va permettre, partout où c’est possible, de faire disparaître la séparation entre temps privé et temps contraint.

Loin d’être l’expression d’un libre arbitre qui se traduirait miraculeusement par des revendications de liberté individuelle, dont il resterait à comprendre pourquoi elles se manifestent aujourd’hui, il faut plutôt y voir l’effet de la formation des personnalités dont a besoin le capitalisme pour étendre et faire approuver sa domination, s’appuyant sur des moyens de production comme l’informatique qui permettent justement cette individualisation dans le procès de travail.

Il y a encore bien des combats à poursuivre, à commencer par la remise en cause de la domination masculine qui continue à faire de la femme un sujet de second rang alors qu’elle a depuis toujours un rôle essentiel et tout particulièrement sous le capitalisme où elle est de plus en plus obligée d’aller sur le marché du travail25 tout en assumant l’essentiel du travail dit domestique qui est en fait absolument nécessaire à la reproduction de la force de travail, de la procréation dont elle supporte la plus grande part, de la naissance à l’éducation et les soins durant l’enfance, à l’ensemble des tâches dites ménagères. Cette place de la femme dans la production de valeur, but ultime du mode de production capitaliste, est longuement analysée par Roswitha Scholz26. Ces activités qui se font dans le cadre domestique et apparaissent comme dissociées du travail productif sont en faire d’égale importance et tout aussi nécessaires à la production de valeur, bien qu’on ne puisse pas les associer au « concept de travail, puisqu’elles ne sont pas saisissables par une vision instrumentale du travail (efficacité, performance, etc.), mais soumises à des critères différents d’une conception toute autre du temps (patience, rapports avec les autres, etc.) ».

L’ensemble des luttes en cours qui expriment le refus croissant d’accepter la marche vers l’abîme où nous entraîne le capitalisme, et dont je n’ai effleuré que quelques exemples, ne conduit pas pour l’instant vers la « sortie » du capitalisme, même si ce sont des points d’appui pour le faire. Et leur variété même rend bien hasardeux la moindre prédiction sur celles qui seraient les plus prometteuses, sinon que c’est justement peut-être dans cette variété qu’il faut chercher les formes sous lesquelles cette « sortie » peut se faire. Il n’y a pas de « sauveur suprême » dont il faudrait attendre la venue qui indiquerait la route à suivre mais une multitude de chemins à emprunter, fonction des contextes des lieux et des collectifs concernés27.

Gilles Rotillon

Notes :

1 Non seulement les émissions de GES continuent à croître rendant complètement illusoire la cible des 1,5°C actée à Paris et sans doute celle de 2°C, mais les catastrophes locales n’ont épargné aucune région du monde (inondations en Espagne, en France ou au Kenya, canicules en Inde ou au Mali, ouragan aux États-Unis…).

2Et ce dans le monde entier, l’élection de Trump en étant une des manifestations les plus évidentes dans le pays le plus puissant du monde dont beaucoup d’économistes, à commencer par les Démocrates qui soutenaient Kamala Harris, louaient la réussite économique. Ce n’était visiblement pas le sentiment des électeurs qui ont majoritairement voté Trump.

3 Cette phrase écrite avant la COP 29 n’était pas le signe d’une capacité de ma part à lire l’avenir, mais la prise en compte réaliste du constat de l’absence d’engagement des dirigeants des pays riches dans la lutte contre le réchauffement climatique et de ses conséquences sur les pays les plus pauvres qui seront les plus touchés. Comme il était facile de l’anticiper, la COP 29 confirme que le monde continue sur la même trajectoire d’une dégradation de plus en plus rapide du climat (notamment). J’ajoute que si on peut comprendre que les pays pauvres soient furieux du manque de soutien des pays riches, il ne faudrait pas qu’ils s’imaginent que l’argent pourrait suffire à résoudre le problème. Il n’y a pas d’argent magique qui ferait que le franchissement d’un seuil irréversible soit impossible. Actuellement, six des neuf limites planétaires sont déjà dépassées.

4 Les menaces de faillites qui touchent la France et les fermetures d’usines qui s’annoncent en France et en Allemagne illustrent bien ce dernier point.

5 C’est ce que me dit un lecteur de mon billet sur l’élection de Trump.

6 Il est amusant de constater que depuis la crise de 2007-2008, Marx a retrouvé une nouvelle légitimité, démentant lui-aussi son obsolescence proclamée.

7 Il faut aussi ajouter l’existence d’un marché du travail développé, conséquence de l’existence d’une masse de travailleurs « libres », et la généralisation du salariat, prix de la force de travail et non du travail.

8 Il faut noter la naïveté de ceux qui prennent pour argent comptant les déclarations des dirigeants soviétiques quand ils parlaient du communisme comme étant leur référence (d’ailleurs seulement une référence car la désignation officielle du régime le qualifiait de socialiste). Comme si la simple énonciation valait justification du fait d’un communisme à l’œuvre. Cette naïveté ne peut toutefois pas être attribuée aux dirigeants politiques des grands pays capitalistes qui parlent suffisamment couramment la langue de bois pour imaginer que les dirigeants soviétiques la pratiquaient aussi bien qu’eux.

9 Désignant une croissance économique faible, voire nulle et une inflation importante. Bien entendu ce terme est purement descriptif et n’explique rien, mais il est le constat que la relative stabilité de l’après-guerre sous le fordisme est terminée.

10 Pierre-Noël Giraud, Le commerce des promesses, 2001, Le Seuil (plusieurs rééditions en poche). La finance permet de reporter vers l’avenir les espérances de gains qui ne peuvent plus être obtenus au présent. Et bien évidemment, comme l’avenir n’est jamais sûr, ces promesses ne peuvent pas toutes être tenues ce qui débouche sur une crise financière quand on s’aperçoit qu’un grand nombre de titres (comme les subprimes) ne pourront pas se transformer en gains réels.

11 Ce qui permet de reculer encore le moment d’une nouvelle crise mais absolument pas de l’éviter, bien qu’il soit impossible de prédire quand elle arrivera et dans quel(s) secteur(s) elle prendra forme. Ce qui est en revanche plus sûr c’est que le prochain sauvetage sera encore plus difficile du fait qu’au-delà des États il n’existe plus d’acteur capable de prendre le relais pour parier sur l’avenir.

12 Jérôme Baschet, Quand commence le capitalisme ? 2024, éditions Crise &Critique.

13 C’est aussi ce qu’il écrit dans Défaire la tyrannie du présent : « il n’y a nulle leçon de l’histoire, sauf une : par définition, aucune forme d’organisation sociohistorique – fut-elle celle qui paraît triompher sous nos yeux – n’est éternelle ».

14 E. Meiksins Wood, L’origine du capitalisme : Une étude approfondie, Lux, 2009.

15 M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Champs Flammarion, 2017.

16 On retrouve cette même faculté d’« adaptation » à propos de l’environnement (mot fort mal choisi car il donne l’impression qu’il s’agit d’une réponse positive à une situation difficile alors qu’il ne fait que dissimuler que cette « adaptation » a pour envers la dégradation non dite qui pourtant la justifie). En témoigne, par exemple, la disparition progressive de la Mer de Glace à Chamonix, qui devient un argument commercial pour inciter les touristes à venir l’admirer « avant qu’elle ne disparaisse », justifiant ainsi les investissements faits pour moderniser le train du Montenvers qui transporte ces touristes et le téléphérique qui les amène sur le glacier, qui, s’éloignant de plus en plus, rend son accès à pied trop difficile pour la majorité des visiteurs. S’il est de plus en plus nécessaire de s’adapter, c’est parce que les politiques mises en œuvre depuis la conférence de Rio en 1992, où l’alerte a été lancée sur les questions environnementales, n’ont pas été à la hauteur des enjeux. Si bien que les admonestations politiques appelant à « s’adapter » sonnent comme un aveu d’échec quand elles sont lancées par les élites au pouvoir, comme l’a fait Christophe Bréchu, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires sur France info le 22 février 2023 en expliquant qu’il faut « préparer notre pays à quatre degrés », précisant même « qu’il faut de préparer au pire », ajoutant ainsi l’aveu de démission à l’aveu d’échec.

17 « système » est un de ces mots qui a l’avantage d’être tellement peu informatif sur sa nature si on ne le fait pas suivre d’un qualificatif (sinon que c’est un tout relativement organisé), qu’il permet toutes les interprétations et est utilisé aussi bien à gauche pour le condamner qu’à droite pour le dénoncer. On peut apprécier les fines analyses que permet la référence au « système » en écoutant le dialogue sidérant entre Pascal Praud et Jordan Bardella sur Cnews, à propos du livre du second, le premier lui reprochant de l’avoir écrit « pour le système » sous-entendant par là le « système médiatique » dont il ne ferait pas lui-même partie.

18 Défaire la tyrannie du présent, p.312.

19 C’est finalement la position d’Esther Duflo, prix « Nobel » d’économie dans un article publié dans une des revues phares des économistes professionnels, l’American Economic Review où la publication d’un seul article booste immédiatement la carrière de son auteur. Cet article, The Economist as Plumber, défend la thèse que l’économiste, doit, comme le plombier chercher « à prédire du mieux possible ce qui peut marcher dans le monde réel ». Autrement dit, ne pas remettre en cause la conception de la plomberie et se contenter d’y adjoindre les rustines qui la prolongeront encore un peu. C’est finalement une bonne description de ce que font effectivement tous les économistes qui ne cherchent qu’à mieux réguler le capitalisme, sans jamais le critiquer, sinon superficiellement pour les plus téméraires.

20 C’est ce qui fait que ce qu’on nomme la social-démocratie, quelle que soit la forme institutionnelle qu’elle prenne, n’a aucune chance d’être une voie de « sortie » du capitalisme. Toute son histoire montre qu’elle n’a fait que de tenter au mieux de le réguler et qu’elle y a systématiquement échoué, renforçant ainsi la croyance en sa résilience.

21 LFI, qui se veut un « mouvement » pour se différencier de la forme « parti », n’en reste pas moins structuré très hiérarchiquement et n’est certainement pas un exemple de ce que devrait être une institution de la « sortie » du capitalisme (ce qui n’est d’ailleurs pas dans son programme).

22 Tout récemment, la famille Mulliez, propriétaire de Décathlon et (entre autres), d’Auchan, vient de recevoir un milliard de dividendes du premier et envisage de licencier 2389 personnes du second.

23 Je souligne.

24 Bien sûr pas de manière mécaniste ou déterministe, et on trouvera toujours le cas qui semble être une exception, car il y a beaucoup de contingence dans la formation d’une personnalité (c’est ce que Lucien Sève a tenté de penser avec son concept « d’emploi du temps », voir « l’Homme » ? le tome 2 de sa tétralogie Penser avec Marx aujourd’hui, 2008, La Dispute).

25 Où elle est loin d’être traitée à égalité avec les hommes, tant au niveau des postes auxquels elle peut accéder, qu’à celui des salaires qu’elle peut avoir.

26 On peut avoir une première vue de sa théorie de la valeur-dissociation dans Le sexe du capitalisme, 2019, Crise & Critique, recueil de quelques-uns de ses textes.

27 Les COP montrent bien à quel point les appréciations de la situation et de « ce qu’il faut faire » à l’échelle d’un pays diffèrent selon les pays et leur place dans la mondialisation. Il en est sans doute de même à d’autres niveaux.

Source : Gilles Rotillon https://blogs.mediapart.fr/gilles-rotillon/blog/021224/il-faut-sortir-du-capitalisme-mais-je-ne-vous-dirai-pas-comment

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