de Yásnaya Elena Aguilar Gil
L’ouvrage « Nous sans l’État » de Yásnaya Elena Aguilar Gil, publié en 2024 aux éditions Ici-bas, constitue une analyse saisissante des formes de résistance indigène et communautaire face à l’État moderne. Aguilar Gil, auteure et linguiste zapotèque, y expose la manière dont les peuples autochtones au Mexique et dans le monde perpétuent et réinventent des modèles de gouvernance qui se passent de l’État. Cet essai met en lumière les pratiques d’autogestion, de prise de décision collective et dans le respect des équilibres environnementaux qui existent dans les communautés indigènes, en opposition aux logiques extractivistes et centralisatrices des gouvernements nationaux dit « modernes ».
Aguilar Gil développe plusieurs idées phares : la critique de l’État-nation comme structure hiérarchique et colonialiste, l’éloge des formes de gouvernance horizontales et collectives, et une défense puissante de l’autonomie territoriale et culturelle des peuples. Elle montre comment l’État moderne, dans sa forme coloniale et post-coloniale, a systématiquement cherché à détruire ou à incorporer les structures d’organisation communautaire préexistantes, souvent au nom du « développement » ou de la « modernisation ». Pourtant, ces communautés continuent d’exister et de résister, en pratiquant des formes d’autonomie qui reposent sur l’interdépendance, le respect de la nature, et des valeurs de solidarité et de coopération.
Les thèses développées par Aguilar Gil dans « Nous sans l’État » résonnent fortement avec celles de l’écologie sociale et du communalisme, qui émergent peu à peu en occident. Ces courants de pensée, largement inspirés des travaux de l’écologiste et anarchiste américain Murray Bookchin, se concentrent sur la nécessité de redéfinir les modes d’organisation sociale en rupture avec le capitalisme, l’État centralisé et les hiérarchies de pouvoir. L’objectif est de construire des sociétés écologiquement durables et socialement justes, fondées sur des principes d’autogestion, de démocratie directe, d’autonomie locale et de confédéralisme démocratique au niveau supra-local.
Aguilar Gil, par son analyse des formes de résistance indigène, offre un cadre de réflexion et des exemples concrets de pratiques alternatives à l’État, qui pourraient enrichir la réflexion des militants de l’écologie sociale et du communalisme. En soulignant l’importance des systèmes décisionnels horizontaux, elle rappelle que des formes d’autogestion politique existent et fonctionnent, notamment dans des contextes de marginalisation extrême, où l’État est souvent un agent d’oppression plutôt que de protection.
Dans un contexte européen marqué par une crise de confiance envers les institutions étatiques et la montée des mouvements autonomistes et écologistes, « Nous sans l’État » apporte des éléments clés pour penser une transition vers des modes de gouvernance locale et soutenable. En France, les ZAD (Zones à défendre) et en Espagne, des mouvements comme ceux de la municipalité libertaire (influencée par l’histoire anarchiste espagnole) pourraient trouver dans les propositions d’Aguilar Gil des stratégies pour articuler leur propre désir d’autonomie politique et écologique.
Enfin, l’accent mis par Aguilar Gil sur la relation symbiotique entre les communautés et leurs environnements naturels entre en résonance directe avec l’écologie sociale, qui voit la crise écologique comme une manifestation des structures de domination de l’homme sur la nature (résultant de la domination de l’humain sur l’humain, et en particulier de l’homme sur la femme, … ). La redécouverte de savoirs autochtones sur la gestion des ressources et la préservation des écosystèmes pourrait constituer une source d’inspiration majeure pour ces mouvements en France et en Espagne, où la gestion locale des ressources devient un enjeu crucial face aux défis du changement climatique.
L’essai de Yásnaya Elena Aguilar Gil, en proposant une vision radicale et profondément ancrée dans la pratique des communautés indigènes, est une lecture incontournable pour toute personne intéressée par la décentralisation, l’autogestion et l’écologie radicale. Ses thèses apportent un éclairage neuf et nécessaire pour les mouvements de l’écologie sociale et du communalisme en Europe, en offrant des exemples concrets de résistances et de réinventions politiques permanentes et nécessaires pour faire face à l’État et au capitalisme.
J’avais besoin d’imaginer des mondes radicalement différents car même les récits qui me traversaient parvenaient à brider cette exploration. Je résistais en imaginant ne pas résister. Je résistais en voulant échapper aux récits de résistance qui s’ajustaient toujours aux systèmes d’oppression. Yasnaya Aguilar