« L’imaginaire de la Commune » de Kristin Ross est un ouvrage remarquable qui explore les héritages intellectuels et politiques de la Commune de Paris, en mettant en lumière son influence durable sur les théoriciens et révolutionnaires qui ont façonné la pensée libertaire et socialiste. Publié en 2015 aux éditions La Fabrique, cet essai analyse comment la Commune a reconfiguré les perspectives politiques de Karl Marx et influencé des figures comme William Morris, Élisée Reclus, et Pierre Kropotkine, tout en ouvrant la voie à la pensée de Murray Bookchin.
L’impact de la Commune sur la pensée de Karl Marx
Pour Karl Marx, la Commune de Paris a marqué un tournant décisif dans sa réflexion sur l’État et la lutte des classes. Avant la Commune, Marx se concentrait principalement sur la prise de pouvoir par la classe ouvrière pour détruire l’État bourgeois. Cependant, la révolution de 1871 a poussé Marx à reconsidérer la forme que pourrait prendre un État post-révolutionnaire. Dans « L’imaginaire de la Commune », Kristin Ross rappelle que Marx, inspiré par la gestion décentralisée et autogérée de la Commune, voyait en elle un modèle de « dictature du prolétariat » qui ne ressemblerait en rien à un État centralisé, mais à une association de producteurs libres. Kristin Ross écrit à ce propos : « La Commune a forcé Marx à reconsidérer sa conception de l’État, non plus comme un simple instrument, mais comme une structure à déconstruire ».
Une praxis inspirante pour Morris, Reclus et Kropotkine et bien d’autres…
Kristin Ross explore ensuite comment la Commune a fourni un terrain d’inspiration et de réflexion pour des figures comme William Morris, Élisée Reclus et Pierre Kropotkine. Pour Morris, la Commune incarnait un idéal de communauté fondée sur la solidarité et l’autonomie, un modèle qui allait au-delà des simples réformes socialistes et tendait vers une transformation radicale de la société. Selon Ross, Morris voyait dans la Commune la possibilité d’une culture post-révolutionnaire, où l’art et la vie quotidienne seraient réconciliés dans un effort collectif.
Élisée Reclus, géographe et anarchiste, a été profondément marqué par la Commune, qu’il voyait comme une expérience où l’individu et le collectif pouvaient coexister harmonieusement dans une société non hiérarchique. Ross évoque son analyse de la Commune comme un exemple de ce qu’il appellera plus tard « l’harmonie par l’anarchie ». Reclus considère que l’autogestion des quartiers et des quartiers d’ouvriers de Paris a prouvé la viabilité d’une organisation décentralisée des villes. Il insistait également sur la nécessaire solidarité entre villes et campagnes.
Depuis la Commune de Paris, Reclus était absolument convaincu qu’en ignorant la campagne, les révolutionnaires risquaient de faire le jeu des classes dominantes, dont le pouvoir, comme la Commune l’avait montré mieux que tout autre événement, reposait sur l’hostilité qu’elles fomentaient entre les travailleurs des villes et les paysans.《Cette association des travailleurs de la terre est peut-être le plus grand développement du siècle », écrivait Reclus en 1873. Et pourtant, regrettait-il, il n’y avait jamais un mot sur la paysannerie ou la question agricole dans les réunions révolutionnaires auxquelles il assistait. À mon frère le paysan entendait lutter contre l’ignorance des révolutionnaires citadins, mais il souhaitait avant tout combattre la crainte et l’hostilité de la paysannerie, ainsi que la propagande qui les nourrissait.
Contre un ennemi si nombreux et si puissant, il n’est d’autre choix que des alliances nouvelles et une fédération plus large : « Si vous ne savez pas vous unir, non seulement d’individu à individu et de commune à commune, mais aussi de pays à pays, en une grande internationale de travailleurs, vous partagerez bientôt le sort de millions et de millions d’hommes qui sont déjà dépouillés de tous droits aux semailles et à la récolte et qui vivent dans l’esclavage du salariat ». Poursuivant sa stratégie rhétorique consistant à situer le travailleur des villes et le paysan du même côté face à ceux qui possèdent la terre, Reclus montre en quoi le travailleur des villes d’aujourd’hui n’est rien d’autre que le paysan d’hier – les deux sont devenus interchangeables. (…)
« Ouvriers, paysans, même combat »
Quant à Pierre Kropotkine, il voyait dans la Commune une préfiguration de la société anarchiste qu’il appelait de ses vœux. La destruction des institutions centralisées de l’État et la gestion autonome de la ville de Paris incarnaient pour lui un modèle d’entraide et de solidarité communautaire. Kristin Ross met en avant la manière dont Kropotkine a considéré cette expérience comme une confirmation de ses théories sur la solidarité « L’Entraide » et l’autonomie, citant notamment un extrait où il parle de la Commune comme une « école » pour le mouvement communiste anarchiste.
Farouchement anti-malthusiens, Reclus et Kropotkine insistaient sur les données scientifiques qui prouvaient que l’abondance matérielle était possible pour tous si l’on mettait fin au capitalisme. La solidarité de tous pouvait être formellement affirmée sur la base des statistiques et des données géographiques qui montraient, de façon probante selon eux, que les ressources de la terre suffisaient amplement à nourrir tout le monde. « La grande usine de la terre », gérée de façon coopérative, menait à un monde d’égalité dans l’abondance, ou de luxe communal.
La Commune et son influence sur Murray Bookchin
Kristin Ross conclut son ouvrage en montrant comment les idées issues de la Commune ont influencé, des décennies plus tard, différents penseurs contemporains. Murray Bookchin, avec son écologie sociale et sa critique de la centralisation, a trouvé dans la Commune de Paris une source d’inspiration pour son projet de « municipalisme libertaire », qu’il désignera sous le terme de Communalisme dans les dernières années de sa vie. Bookchin voyait dans les assemblées populaires de la Commune une forme précoce d’assemblées de quartier ou de ville, une structure permettant la démocratie directe, la décentralisation du pouvoir et vers une confédération internationale de communes libres.
À travers une approche historique, politique et culturelle, Ross montre que l’imaginaire de la Commune de Paris a servi de socle à une tradition de pensée révolutionnaire et décentralisatrice qui, à travers Marx, Morris, Reclus, Kropotkine et jusqu’à Bookchin, a continué de modeler les idéaux d’émancipation sociale. Ce livre invite ainsi les lecteurs à redécouvrir la Commune non seulement comme un événement historique, mais comme une source vivante d’inspiration pour les luttes et les alternatives contemporaines – Faisons vivre la Commune !
En prolongement de cette bref brève recension, on consultera avec profit :
[…] fuente: https://ecologiesocialeetcommunalisme.org/2024/10/18/limaginaire-de-la-commune/ […]